Revenir à la liste
20 mars 2020

Se soucier des jeunes – Une lecture de Actes 20, 6-12

Dans la foulée du récent synode des évêques sur les jeunes, le petit récit de Actes 20, 6-12 nous interpelle. Luc y raconte, qu’au terme d’une visite de saint Paul à Troas qui a duré une semaine, les disciples se sont rassemblés la veille de son départ pour l’entendre une dernière fois et pour célébrer l’eucharistie avec lui.

Manifestement, le courant passe entre l’apôtre des nations et les chrétiens de Troas. Il y a de nombreuses personnes dans la chambre haute (v. 8) et elles rayonnent tellement de la lumière de l’Évangile que Luc n’hésite pas à les comparer à des lampes. Tout le monde est suspendu aux lèvres de Paul et on est prêt à l’écouter jusqu’au milieu de la nuit (v. 7).

Une liturgie rébarbative pour les jeunes

Tout le monde écoute Paul, à l’exception d’un jeune (neanias, en grec) nommé Eutyque. Il s’agit probablement d’un grand adolescent que ses parents ont contraint de participer à la liturgie communautaire. De toute évidence, ce jeune s’ennuie littéralement à mourir. Cette liturgie ne le rejoint pas du tout. Si ce type de rassemblement convient à ses parents et aux autres adultes, ce n’est pas son cas. Par conséquent, il se tient le plus loin possible. Assis sur le rebord de la fenêtre, au fond de la salle, il se trouve symboliquement à la frontière entre l’espace éclairé par l’Évangile et la noirceur du dehors, celle d’un monde sans la lumière du Christ. Centrée sur son propre vécu, la communauté ne semble pas se préoccuper de lui.

Luc rapporte que ce jeune finit par s’endormir. Il tombe ainsi à la renverse dans les ténèbres, du haut du 3e étage, et il se tue. Comme souvent, l’auteur des Actes s’exprime ici au moyen d’un langage imagé ayant une portée théologique. Nous comprenons son propos en le rapprochant de ce que Paul écrit en 1 Th 5, 4-6 : « Vous, frères, vous n’êtes pas dans les ténèbres (…). Tous, en effet, vous êtes des fils de la lumière, fils du jour : nous ne sommes ni de la nuit, ni des ténèbres. Donc ne dormons pas comme les autres, mais soyons vigilants et sobres. »

En fait, l’endormissement d’Eutyque consiste en sa fermeture à la Parole de Dieu. Il s’enfonce ainsi dans les ténèbres de la mort spirituelle. À première vue, ce jeune a un prénom qui contredit son vécu. Eutyque signifie en effet « Le chanceux ». Mais les choses n’en resteront pas ainsi.

Des attitudes vivifiantes pour les jeunes

Étant témoin de cette chute, saint Paul s’empresse de descendre de la chambre haute pour s’approcher de ce jeune. L’apôtre fait montre d’attitudes pastorales absolument remarquables. Il n’hésite pas un instant à quitter la salle baignée de lumière pour s’enfoncer dans les ténèbres où le jeune se trouve en danger de mort. Il laisse derrière lui l’assemblée liturgique pour se mettre au niveau de l’adolescent. Il s’occupe personnellement de lui. Paul lui accorde toute une qualité de présence : il le prend dans ses bras ! (v. 10) Nous pourrions même traduire le verbe grec (sumperilambanô) en disant qu’il l’embrasse. Il s’agit d’une présence de tendresse, une présence aimante. Nous constatons qu’Eutyque devient sa priorité. Il lui prodigue des soins pastoraux personnalisés, ajustés à sa réalité. Paul ressemble au berger de la parabole qui quitte les 99 brebis du troupeau pour partir à la recherche de celle qui est perdue (Lc 15, 4).

Suite à ses efforts, Paul peut s’écrier : « Ne vous agitez pas ! Il est vivant ! » (v. 10) Grâce à une intervention adaptée, le jeune homme s’est ouvert à la vie de l’Évangile, il est passé de la mort à la Vie. Le nom que Luc a choisi de donner à son personnage prend alors tout son sens. Eutyque est chanceux d’avoir croisé un missionnaire tel que Paul.

Vers une communion intergénérationnelle

Le récit se termine en mentionnant que les membres de la communauté « conduisirent le garçon vivant » (v. 12). Stimulée par l’exemple de Paul, la communauté s’intéresse à lui et elle prend désormais en charge son avancement dans la foi. Elle l’initie à l’Évangile. Décentrée d’elle-même, elle s’ouvre à ce jeune et opte pour une approche catéchétique adaptée à sa réalité. Paul a pris l’initiative d’aller vers un jeune en agonie spirituelle, mais il a su entraîner toute la communauté à sa suite. La communion des chrétiens de Troas s’élargit ainsi pour devenir véritablement intergénérationnelle.

Nos communautés face à la jeunesse

Où en sommes-nous dans nos communautés religieuses ? Gardons-nous le souci d’éveiller à la foi les jeunes générations ? Avons-nous tendance à nous replier sur nous-mêmes, comblés par les liturgies que nous célébrons entre nous ? Avons-nous les yeux ouverts pour discerner ce dont ont besoin les plus jeunes ou nous contentons-nous de nous enfermer dans nos maisons ? Aurions-nous des conversions à faire, personnellement et communautairement, pour ressembler davantage à Paul ? Aurions-nous à revoir nos priorités comme lui-même a été capable de le faire ?

Au Canada, une grande partie des jeunes ne fréquente ni nos églises ni nos activités pastorales. Comme Eutyque, ils semblent indifférents à la Parole de Dieu et, comme lui, ils risquent de tomber dans la mort spirituelle. N’auraient-ils pas besoin que quelqu’un s’approche et se penche avec attention sur ce qu’ils vivent ? Se pourrait-il que le Christ ressuscité ait besoin de nous pour leur exprimer une présence de tendresse ? Serait-ce un chemin possible pour susciter un éveil à la vie avec le Christ ?

Pour poursuivre la réflexion

  1. À quelles conversions personnelles et à quelles conversions communautaires le récit d’Ac 20, 6-12 nous exhorte-t-il ?
  2. Tenant compte de notre réalité (âge, santé, disponibilité…), quels gestes concrets pourrions-nous poser pour nous rapprocher de ce que Paul et la communauté de Troas ont vécu en regard de la jeunesse ?

Michel Proulx, O PRAEM

Ce texte est extrait du webzine ad vitam de l’hiver 2020 « Une communion qui engendre la mission ».