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13 octobre 2021

Prophétisme

Ce texte de Daniel Cadrin, OP, a été préparé dans le cadre de la programmation de l’automne 2021 de la CRC autour de la thématique : « Retourner aux sources : le charisme et le prophétisme dans une vie consacrée en évolution. » D’autres ressources découlant de cette programmation sont disponibles sur notre site Internet ici.


Introduction : Des appels

En ce lendemain d’élections qui nous laissent avec divers sentiments, nous allons parler d’une dimension de notre vie consacrée qui suscite aussi des réactions, c’est même son rôle, le prophétisme. Nous en parlons parce que, d’abord, c’est ressorti de l’assemblée générale du printemps comme une des trois priorités de la CRC: porter la voix prophétique de la vie consacrée. Mais aussi, lors de l’année de la vie consacrée en 2015, dans sa Lettre apostolique à tous les consacrés, le pape François a écrit : J’attends que vous réveilliez le monde, parce que la note qui caractérise la vie consacrée est la prophétie. Il nous appelait à interpréter les événements, à créer des signes de fraternité, avec liberté et sans nous décourager.

Pour nous aider à avancer sur cette voie prophétique, voici quelques éléments de réflexion : le lien au contexte, les formes diverses de prophétisme, des enjeux actuels et des pistes à explorer.

  1. Contexte et histoire :

(Ac 2,18 : Sur mes serviteurs et sur mes servantes, en ces jours-là, je répandrai de mon Esprit et ils prophétiseront)

Quand on regarde et entend les prophètes dans les Écritures, certains traits ressortent qui demeurent pertinents.

Les interventions des prophètes sont très liées à ce qui se passe dans leur milieu, dans le monde social, politique, économique, mais aussi religieux et culturel. Le prophétisme n’est pas dans les nuages mais est situé dans une histoire en marche, avec ses forces de mort et de vie nouvelle. C’est très incarné, attentif à ce qui meurt et à ce qui naît, à ce qui tue et à ce qui ressuscite, à ce qui est blessé et peut renaître. Cela nous invite à une attention à ce qui se passe aujourd’hui dans nos sociétés, dans l’Église, la vie consacrée et toute la création.

Les prophètes dénoncent les forces de mort, les idoles, et appellent, au nom du Dieu vivant, à la justice, au souci du faible (à l’époque la veuve, l’orphelin, l’étranger). Les deux sont intrinsèquement connectées : la foi au Dieu vivant et la justice et la paix; l’idolâtrie et l’oppression. Mais le prophétisme, très lié au temps présent, ne s’enferme pas dans l’aujourd’hui. Il se situe dans un temps long : il s’enracine dans une mémoire, il assume un héritage historique; et il ouvre un avenir, fondé sur la promesse. Ainsi est offerte une espérance qui relance et appelle à l’engagement pour le prochain et pour Dieu. Cela nous invite à nous demander, entre autres, quel est notre propre héritage, dans nos communautés religieuses, comme témoins du prophétisme.

Enfin, les prophètes suscitent des réactions, ne laissent pas indifférent, tant du côté des puissants que du peuple. Ils rencontrent des appuis et des oppositions. On ne peut se vouloir prophétique et se contenter d’être conforme au temps présent, hésitant d’aller à contre-courant ou d’innover. Mais jusqu’où aller dans la dissonance et la dissidence avec les valeurs de notre société ?

  1. Formes diverses de prophétisme :

(Lc 24,19 : Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple)

Qu’est-ce qui est prophétique ? Spontanément, et cela se reflète dans les réflexions de l’Assemblée, on pense à des actions pour la justice dans la société. Et de fait, cela est prophétique. Mais on risque de rétrécir le champ prophétique à ce qui a beaucoup caractérisé la vie consacrée et l’a peut-être trop définie: les œuvres. Le projet de la vie consacrée et son prophétisme sont plus vastes. D’autant plus, comme l’indiquaient les statistiques présentées à l’AG sur la vie consacrée au Canada, que l’âge moyen y est élevé (c’est une litote!). Les capacités des personnes et les institutions ne sont plus ce qu’elles étaient. Cela n’enlève rien au fait que les membres plus âgés de la vie consacrée puissent mener une vie tout aussi évangélique; mais non comme avant. Alors, élargissons le champ des formes de prophétisme.

D’abord, qui peut être prophétique  ? Des individus certes, mais aussi des communautés, des réseaux, des organismes, des coalitions. Auxquels nous pouvons participer, sans en être nécessairement les créateurs et leaders. Et comment  ? par des actions et des paroles, certes, mais aussi des gestes, des projets, des témoins, des modes de vie, des vœux (tout un champ à travailler), des méditations, des écrits, des médias sociaux, …

Sans oublier que ce qui est prophétique dans un temps et un lieu ne l’est pas nécessairement dans un autre temps et un autre lieu. Au Québec et en d’autres régions du monde, dans les siècles précédents, les communautés religieuses féminines ont mis sur pied, géré et dirigé des institutions d’éducation, de santé, de service social. Ces femmes, par ce qu’elles étaient et faisaient, offraient un signe prophétique, ouvraient des voies nouvelles. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’être religieuses pour le faire. Ou, du côté de ma communauté, les o.p., nous avons mis sur pied des facultés universitaires (psychologie, sciences sociales, …) qui formaient des gens et ouvraient l’avenir. Plus besoin de nous pour cela maintenant. Alors qu’est-ce qui serait prophétique ici et maintenant ?

  1. Enjeux actuels :

(Jr 22,3 : Pratiquez le droit et la justice; délivrez l’opprimé des mains de l’oppresseur ; ne maltraitez pas l’étranger, l’orphelin et la veuve ; n’usez pas de violence)

J’aimerais signaler quelques enjeux actuels qui peuvent requérir le prophétisme de la vie consacrée, de diverses manières. Vous pourrez ajouter d’autres enjeux qui vous touchent. Et comme on ne peut être partout (laissons cela à Dieu!), certains enjeux peuvent nous interpeller plus que d’autres.

  • Changements climatiques : Cette question est prioritaire car c’est l’enjeu de l’avenir de la création elle-même dans toute sa diversité. Ici, notre prophétisme peut s’exprimer dans nos modes de vie et dans des solidarités multiples, qui rassemblent les générations.
  • Migrants et interculturalité : Nous sommes engagés depuis longtemps dans cette question et nous avons même une expertise unique, à cause de la composition de nos communautés et de notre présence en tant de pays, avec leurs religions et cultures. En vivant une fraternité interculturelle, nous pouvons offrir un signe bien concret et interpellant; et en soutenant les projets touchant les réfugiés, les travailleurs saisonniers, les migrants pris dans notre système compliqué.
  • Violences et victimes : La violence affecte familles, couples, premières nations, groupes racisés, minorités religieuses, … ; elle insécurise la vie de quartiers. On peut s’y impliquer par les processus éducatifs qui apprennent à des jeunes à vivre ensemble autrement, dans les organismes de justice et réparation, les essais de dialogue, ou simplement par l’amitié envers des personnes mises en marge et sans appui.
  • Appartenances et identités : Notre société est de plus en plus fragmentée en réseaux d’appartenance qui s’affrontent ou ne se rencontrent pas. Les identités y sont données par des caractéristiques très particulières (genre, culture, éducation, quartier, âge, religion, parti, musique, …) et les traits communs deviennent secondaires. Dans cet éclatement avec ses polarisations et intolérances, comment construire un vivre ensemble ? Je ne sais trop mais c’est un enjeu qu’il nous faudra affronter avec précaution et audace.
  • Vieillissement et soins : La pandémie a fait ressortir à quel point les personnes âgées sont vulnérables et facilement abandonnées. En ce domaine, nous avons une double expertise : celle d’être nous-mêmes plutôt âgées mais aussi d’avoir mis sur pied des centres de soins et de vie commune où elles sont considérées comme des personnes auxquelles porter respect et attention jusqu’au bout de leur âge. Nous avons un témoignage unique à faire mieux connaitre.
  • Gouvernance et vie citoyenne : Le bien commun est promu et mis en œuvre par des styles de gouvernance et de fonctionnement institutionnel. Quand nous faisons profession, nous nous engageons à participer à une vie communautaire interdépendante dans la coresponsabilité. Nous aurions avantage à mieux approfondir cette dimension de notre vie qui peut être un signe prophétique dans le monde actuel et l’Église.
  • Sécularité et transcendance : Nous vivons dans un monde où les traces et signes de transcendance sont effacés, suscitent la méfiance, ou deviennent bizarres. Comment ouvrir un avenir dans une telle perspective de finitude radicale de l’existence humaine ? Ici, notre témoignage par la prière et l’espérance en un au-delà de l’immédiat peut faire signe et réveiller le monde.
  • Patrimoine matériel et spirituel. Cf. Journées du patrimoine religieux au Québec les 11 -12 septembre. Une partie de ce patrimoine vient des communautés religieuses. Ces trésors méconnus peuvent servir de médiations pour ouvrir à un sens du temps plus large, briser la prison du présent dans laquelle tant de gens sont enfermés, ou éveiller à une quête spirituelle. Sans compter le trésor de l’héritage spirituel comme tel que nous portons, dans nos vases fragiles, et qui est si inspirant.
  1. Pistes à explorer :

(1 Co 14,3 : Le prophétisant parle aux humains : il construit, il exhorte, il encourage)

Dans les premières communautés chrétiennes, il y avait des prophètes. Hommes et femmes pouvaient prophétiser. Paul indique trois rôles des prophètes, qui me semblent très signifiants :

  • Construire, édifier, le contraire de détruire : construire la communauté, le corps du Christ, construire soi-même et les autres : que pourrions-nous construire aujourd’hui et avec qui ?
  • Exhorter, appeler, le contraire d’esquiver : qui pourrions-nous interpeller et sur quels enjeux ? Quelles modalités d’intervention seraient à privilégier ?
  • Encourager, réconforter, le contraire de décourager : de qui pourrions-nous relever le courage et de quelles manières ?

Nous avons du pain sur la planche, un pain à rompre et partager.

Daniel Cadrin, OP
21 septembre 2021

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