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20 mars 2020

Communion trinitaire et altérité

La Trinité1 est l’article le plus mystérieux de notre foi, et nous en témoignons chaque dimanche en récitant le credo. En fait, pour plusieurs d’entre nous, la Trinité relève du mystère au point que nous imaginons qu’elle échappe à notre compréhension; nous passons ainsi à côté du don de Dieu qui se révèle à nous lorsque nous prenons la peine de sonder les profondeurs de notre Dieu. Chaque année, au moment de célébrer la Solennité de la Très Sainte Trinité, nous sommes invités à nous engager à enrichir les relations ordinaires de notre quotidien en cultivant la communion, la consolation et la miséricorde. Comme l’a déclaré le pape François au début de son pontificat, « le fait que nous soyons créés à l’image et à la ressemblance de Dieu-communion nous appelle à nous comprendre nous-mêmes en tant qu’être-en-relation et à vivre les relations interpersonnelles dans la solidarité et l’amour mutuel2. » Il continuait en soulignant que la Trinité « n’est pas refermée sur elle-même, mais elle est ouverte, elle se communique dans la création et dans l’histoire et elle est entrée dans le monde des [personnes humaines] pour nous appeler tous à en faire partie3.» Nous avons ici un impératif divin d’amour passionné qui appelle les êtres humains à participer à cet apostolat de l’amour.

Dieu en Dieu

« Le regard fixé sur Jésus et son visage miséricordieux, nous pouvons accueillir l’amour de la Sainte Trinité4. »

Dans et par la rencontre avec Jésus, nous pouvons entrevoir quelque chose de l’amour miséricordieux de la Trinité. Dieu est une réalité dynamique faite de relations, le Père, le Fils et l’Esprit Saint, et l’action de la liberté divine se déploie à mesure que la liberté personnelle du Père engendre le Fils éternel, l’Autre inséparable, et qu’ensemble le Père et le Fils exhalent l’Esprit éternel. Le Père n’« a » rien d’autre que ce qu’il « est », de sorte que le don qu’il fait de lui-même au Fils est un acte total de « désappropriation de soi ». Le Fils est l’image parfaite du Père, qui restitue le don de soi du Père dans un acte d’action de grâce qui mobilise, lui aussi, tout ce qu’il est. Et l’Esprit est la fécondité de ce don mutuel, qui le dépasse et le déborde sans cesse. Le mystère de notre Dieu trinitaire comprend un seul Dieu en trois personnes, mais les personnes ne sont distinctes que dans leur relation. Il s’ensuit que de toute éternité il y a, au sein de la Trinité, une relation de communion (un seul Dieu) et d’altérité (trois personnes). Dieu n’est pas d’abord un puis trois, mais simultanément l’un et l’autre – l’altérité est inconcevable indépendamment de la relation – et il nous est donc révélé que la communion, loin de menacer l’altérité, l’engendre en réalité5. Cette co-inhérence de l’unité et de l’altérité est aux antipodes de notre culture contemporaine, où « l’altérité » est souvent perçue comme suspecte, quand elle n’est pas carrément vécue comme une menace.

La peur de l’Autre

Dans le monde d’aujourd’hui, nous avons tendance à voir dans l’autre un ennemi tant qu’il n’a pas démontré qu’il est notre ami. La tradition chrétienne attribue cette attitude aux suites de la « Chute » et il semble bien qu’il y ait, pour ainsi dire, une forme de pathologie inhérente à nos gènes : la peur de l’autre. C’est évidemment un comportement que nous inculquons très tôt aux enfants : il leur faut se méfier des inconnus. Mais lorsque la peur de l’autre se développe et devient peur de l’altérité, si nous n’y prenons garde, nous en venons à identifier différence et division. La communion finit alors par n’être plus qu’un accord de coexistence pacifique. Or, en tant que chrétiennes et chrétiens, nous sommes appelés à plus. Faits à l’image de Dieu, nous sommes appelés à entrer en communion avec le Dieu trinitaire et à entrer les uns avec les autres dans une relation d’amour. C’est Jésus qui illustre pour nous la façon dont nous sommes appelés à entrer en relation, sans crainte, avec Dieu et avec les autres.

Le Christ – l’amour du Dieu trinitaire rendu manifeste

Car c’est Jésus qui nous révèle quelque chose de la dynamique interne du mystère trinitaire et qui nous appelle à y participer. « Personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler »6, lisons-nous dans l’évangile de Matthieu. Il est clair dans les évangiles qu’il y a une relation constante entre le Père et le Fils. C’est le Fils qui parle de la coexistence de l’Esprit Saint avec le Père, et qui l’envoie à l’Église pour la sanctifier par son amour miséricordieux jusqu’à la fin des temps. C’est aussi le Christ qui nous révèle l’unité de vie parfaite des trois personnes divines7. Le Père engendre éternellement le Fils, et le Père et le Fils exhalent ensemble éternellement le souffle de l’Esprit Saint8.

En tant que chrétiennes et chrétiens, nous croyons qu’il n’y a pas de vie en plénitude sans relation à Dieu et sans relations correspondantes à autrui. Ce que nous entrevoyons dans la vie de la Trinité, c’est que l’altérité n’est pas une menace à la communion entre nous, mais la condition même de cette communion. Par ailleurs, la reconnaissance de l’altérité est au cœur de toute saine relation humaine, qui peut conduire à la communion authentique. Cette communion suscite l’ouverture à l’altérité. Mais il y a un prix à payer. De même que Jésus a choisi de donner sa vie pour notre rédemption, de même le sacrifice de notre volonté propre et de nos intérêts devient parfois l’expression de notre engagement à vivre la communion et de notre volonté d’embrasser l’altérité. Ici, nous ne pouvons distinguer entre ceux et celles qui seraient ou ne seraient pas dignes de notre accueil. En définitive, c’est l’Esprit qui nous guide vers la communion profonde et, dans notre vie quotidienne, c’est l’Eucharistie qui confirme et sanctifie à la fois la communion et l’altérité.

1 Pour un livre sur le même thème, dont je me suis inspirée, on lira avec profit John D. Zizioulas, Communion and Otherness, sous la direction de Paul McPartlan, Londres, T&T Clark, 2006.
2 Pape François, Angélus du 22 mai 2016
3 Ibid.
4 Pape François, Misericordiae Vultus, bulle d’indiction du Jubilé extraordinaire de la miséricorde, 11 avril 2015, n° 8.
5 John Zizioulas développe cette idée avec éloquence dans l’ouvrage déjà cité.
6 Matthieu 11, 27.
7 Cf. Jean 16, 12-15.
8 On aura remarqué que l’accent est mis ici sur la tradition trinitaire occidentale, et sur l’interprétation du filioque où l’Esprit procède du Père et du Fils.

Gill Goulding, CJ

Ce texte est extrait du webzine ad vitam de l’hiver 2020 « Une communion qui engendre la mission ».