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20 juillet 2020

Après la COVID-19, repenser le filet de sécurité sociale

À mesure que passent les semaines de distanciation physique et d’isolement social à cause de l’émergence de la COVID-19, Canadiennes et Canadiens découvrent une réalité nouvelle. Confinés à la maison lorsqu’ils le peuvent, plusieurs ont recommencé à donner à leur famille du temps de qualité et à se rappeler l’importance des amis. On note un regain d’intérêt pour les repas préparés à la maison et pour les arts ménagers. Après la fermeture des écoles et d’innombrables commerces, des milliers de voitures ont quitté les rues et avec le ralentissement de l’activité industrielle, la qualité de l’air s’est nettement améliorée. Il y a plus de chants d’oiseaux et on aperçoit des animaux sauvages qu’on ne voyait plus que rarement.

Si vous aviez demandé à un observateur consciencieux de n’importe quel secteur — l’environnement, le climat, les droits autochtones, l’agriculture, les soins de santé, le logement et les sans-abris, la sécurité alimentaire, la pauvreté —, il aurait pu vous exposer en détail les injustices et les vulnérabilités inhérentes à chacun. Mais comme beaucoup l’ont remarqué, l’arrivée de la COVID-19 a mis en évidence les failles de notre filet de sécurité sociale et discrédité l’idée prônée depuis des décennies par les néolibéraux qui voyaient dans les mesures d’austérité la seule voie d’avenir.

Les citoyens ont fait preuve de solidarité au nom du bien public. Ils font des sacrifices et se conforment, pendant cette crise sanitaire sans précédent, aux mesures promulguées pour ralentir la progression du virus et se protéger eux-mêmes, mais aussi leurs proches et toute la société. En proclamant « Nous sommes tous dans le même bateau », les gouvernements ont relevé le défi de manière spectaculaire et surprenante pour jouer un rôle essentiel en permettant aux Canadiens de respecter les consignes de santé publique. De multiples politiques, que politiciens et économistes auraient jugées impensables il y a quelques mois à peine, ont été mises en place en quelques semaines seulement. C’est ainsi que nous avons vu apparaître divers programmes d’aide financière, un moratoire sur les expulsions de locataires, le report des paiements hypothécaires, la gratuité des transports publics interurbains, des stationnements gratuits, des chambres d’hôtel gratuites pour les sans-abris, la libération anticipée de détenus non violents, etc.

Le choix et la nécessité

Le gouvernement fédéral canadien a versé plus d’un milliard de dollars en subventions de recherche pour étudier le virus, produire des médicaments et découvrir un vaccin, ainsi que des millions supplémentaires pour acheter des équipements de protection individuelle (ÉPI) pour les travailleuses et les travailleurs de la santé. Afin de protéger les employés et les entreprises du choc économique de la COVID-19, il a créé la prestation canadienne d’urgence (PCU) qui, d’un simple clic, a mis 2 000 dollars par mois dans les poches de plus de huit millions de Canadiens admissibles ; la subvention salariale aux entreprises et l’aide d’urgence pour le loyer commercial ; des compléments de salaire pour les travailleurs essentiels à faible revenu ; une augmentation de l’allocation canadienne pour enfants ; la prestation canadienne d’urgence pour étudiants ; des fonds supplémentaires pour les infrastructures et les entreprises autochtones ; des fonds pour les organismes artistiques, culturels et sportifs ; des fonds pour les agriculteurs afin de loger les travailleurs migrants pendant les 14 jours de quarantaine nécessaires ; des millions pour la pêche ; 1,7 milliard à l’industrie des combustibles fossiles pour embaucher 10 000 travailleurs afin de nettoyer les puits de pétrole abandonnés et de restaurer les terres agricoles.

Presque chaque jour, le premier ministre Trudeau a annoncé de nouvelles mesures pour combler les lacunes des anciens programmes d’aide. Ces mesures coûtent des centaines de milliards de dollars, mais personne ne sourcille. Il s’avère que l’austérité, comme le fait remarquer le journaliste Gwynne Dyer, avait été un choix idéologique et non une nécessité économique.

Passer à travers les mailles du filet

Malheureusement, la protection n’est pas appliquée équitablement dans tous les domaines, parfois en raison de la répartition des compétences fédérales et provinciales, et il y a encore des Canadiens qui passent entre les mailles du filet. La grande majorité des victimes de la COVID-19 sont des personnes âgées résidant dans des établissements de soins de longue durée. Les commis d’épicerie sont salués comme des héros au même titre que le personnel soignant de première ligne, mais beaucoup d’entre eux vont travailler sans ÉPI ni salaire de pandémie. Les femmes enceintes qui ont épuisé leurs prestations d’assurance-emploi ne sont pas admissibles à la PCU. Les entreprises bénéficient d’une réduction de loyer, mais pas les locataires. Les étudiants reçoivent une certaine aide, mais pas autant que les travailleurs qui ont perdu leur emploi. Les travailleurs migrants restent en dehors de la population active. Alors que les gouvernements déploient du personnel militaire et rappellent le personnel médical, les médecins étrangers pleinement qualifiés restent exclus. Les bénéficiaires de l’aide sociale continuent de se démener bien en-dessous du seuil de pauvreté, et les maladies que leur pauvreté chronique leur a causées posent un risque accru de complications liées à la COVID-19. Dans l’ensemble de la population, après des semaines de restrictions et sans qu’on sache combien de temps elles vont durer, les esprits s’échauffent et l’anxiété est palpable. Les ventes d’alcool sont en hausse, tout comme la violence domestique. On rehausse la surveillance au nom de la sécurité publique. Trop de gens meurent, et meurent seuls. Il n’y a ni veillées funèbres ni funérailles.

Les personnes, pas le profit

L’importance de l’aide gouvernementale a suscité un débat sans précédent sur la mise en place d’un revenu de base. Pourquoi continuer à jongler avec une myriade de programmes qui excluent encore certains Canadiens alors qu’une seule mesure pourrait protéger tout le monde contre la pauvreté ? Cinquante sénatrices et sénateurs ont envoyé une lettre au premier ministre, à la vice-première ministre et au ministre des Finances le 21 avril dernier, leur demandant de restructurer la PCU afin de mettre en place un « revenu minimum de base ». On observe ailleurs dans le monde des efforts semblables pour faire du revenu de base une réalité : l’Espagne a annoncé qu’elle introduirait un revenu de base universel « dès que possible » et qu’il sera mis en place « indéfiniment » dans le cadre de ses efforts pour lutter contre les retombées économiques du coronavirus. Le pape François présente le revenu de base comme une priorité dans un monde post-COVID afin de contribuer à « éliminer les inégalités » et à « guérir les injustices ».

L’histoire enseigne que chaque pandémie est unique, et qu’après les souffrances et les deuils, des changements positifs se produisent. Pour la COVID-19, le véritable test surviendra une fois passée la crise. Chaque jour, le premier ministre canadien reconnaît qu’il reste beaucoup à faire et il s’engage à faire mieux. Nombreux sont ceux qui n’attendent rien de moins qu’un changement transformateur. Au lieu d’un ordre mondial sous le signe du « capital », du « profit » et de la « consommation », il est possible d’évoluer vers la « coopération », l’« équité » et la « durabilité ». Allons-nous tirer les leçons de la COVID-19 et les appliquer à une nouvelle façon de vivre ? Ou retournerons-nous au business as usual, où le profit passe avant les personnes et où nous continuons d’exclure et de discriminer nos concitoyens les plus pauvres et les plus vulnérables ?

Tara Kainer, bureau JPIC, Soeurs de la Providence de Saint Vincent de Paul, Kingston (ON)

Ce texte est extrait du webzine ad vitam de l’été 2020 « Laudato Si’ : Prendre soin de la Création pour les futures générations ».