Le 1er novembre dernier, à l’invitation du service de priorités dans les dons de la CRC, s’est tenue la rencontre de la Table de concertation, à la Maison Mère des Sœurs de la Congrégation Notre-Dame. Le thème de cette rencontre était : « Qui sauvera la beauté du monde ? ». Les 29 participantes et participants ont été amenés à réfléchir sur ces enjeux avec le conférencier Diego Creimer. Voici le compte-rendu de cette journée.
Conférence de Diego Creimer
Diego Creimer est responsable des affaires publiques et des communications à la Fondation David Suzuki. Préoccupé par notre retard face à l’urgence climatique et à la nécessité de procéder rapidement à la transition énergétique, il est allé à la rencontre d’expériences inspirantes en ce sens à travers le Québec.
Il a bien voulu venir nous partager ce qu’il a constaté et les motivations de gens qui gardent espoir.
Deux constats : un sombre et un plus lumineux
D’abord il est important de rappeler que l’environnement, c’est une question fondamentale des droits de la personne. C’est un faux dilemme de prétendre s’intéresser aux gens plutôt qu’à l’environnement ou vice-versa. La crise environnementale menace tous nos acquis au niveau des droits et affectera notre capacité d’intervenir pour les défendre.
1. On ne se le cachera pas. Les choses vont très mal. La situation est très grave. Le réchauffement climatique frappe déjà de plein fouet des populations vulnérables dans différentes parties du globe à cause des inondations et des sécheresses. Et pourtant, ce ne sont pas ces populations qui sont à l’origine de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Il y a là une grande injustice.
Les compagnies pétrolières le savaient depuis plus de 50 ans, mais elles nous cachaient une partie de la vérité en plus d’investir des sommes immenses pour tenter de semer le doute chez les décideurs publics et dans la population.
Le phénomène d’extinction des espèces s’accélère à un rythme et une dimension qui nous fait parler de la sixième extinction de masse que la planète a connue. Alors que les précédentes étaient dues à des phénomènes naturels, celle-ci est due à l’activité humaine par la concentration d’émissions de dioxyde de carbone, par la déforestation et la réduction des territoires viables, par la quantité des déchets rejetés dans la nature, etc.
2. La situation est très grave mais ce n’est pas l’apocalypse. Les écologistes aussi souffrent d’éco-anxiété. Nous inspirant du film « Demain », nous sommes partis à la recherche d’initiatives pour garder espoir. Nous voulions connaître les motivations individuelles derrière ces initiatives et nous avons découvert l’importance des relations sociales qui se développent à travers ces projets pour réussir à combattre l’éco-anxiété. On a choisi les 30 idées qui nous apparaissaient les plus porteuses.
La seule prémisse pour cette recherche : « On ne peut pas résoudre un problème avec la même idée qui l’a créée ». Los Angeles est rendue avec des autoroutes à 6 voies dans chaque direction. Cela a amplifié les bouchons de circulation plutôt que de les régler. La logique qui nous gouverne qui veut rajouter des voies routières ou construire des ponts s’avèrera toujours des solutions temporaires. Ça ne fonctionnera jamais. Il faut augmenter le transport en commun. Ça limite les souffrances. Les voitures roulent en moyenne une heure par jour. Elles prennent trop de place sur l’espace public.
Des projets inspirants
– Les autobus scolaires Lion.
Le créateur de la compagnie Lion décide d’investir dans les transports collectifs électriques. Il crée donc des autobus scolaires avec des pare-chocs bleus. Mais il se fait refuser son permis car au Ministère des transports, un règlement exige que les pare-chocs soient noirs. Mais l’inventeur y tient car il veut faire sa marque.
Devant la menace d’un fonctionnaire d’appeler la police, le propriétaire répond qu’il est prêt à se faire arrêter mais qu’il communiquera aussitôt avec les médias. Non seulement obtient-il son permis, mais il y a eu changement de règlementation.
Au Québec, si on s’attaque au transport, on règle au moins la moitié des problèmes.
– Basse Côte-Nord : des dépotoirs près du fleuve.
Sur la Basse Côte-Nord, la glace est nécessaire pour protéger les côtes. Mais avec le réchauffement du climat, il n’y a plus de couvert de glace pour limiter la force des vagues; il n’y a donc plus ces remparts de glace accumulée près des rives pour protéger les côtes.
Or on avait construit des dépotoirs près du St-Laurent. Celui-ci allait chercher les rebuts et les ramenait dans ses eaux. Ceci a permis la prise de conscience chez les citoyens de la nécessité de créer une économie circulaire qui permet de recycler et de réutiliser en limitant au maximum les déchets.
– Interdiction de jeter des aliments à Montréal.
Un nouveau règlement à Montréal fait qu’il sera interdit de jeter des aliments. Dans les épiceries, une culture s’est développée au niveau de l’esthétique des fruits et légumes : on mange avec nos yeux! Mais c’est beaucoup plus important que les gens puissent manger à leur faim.
Le film « Mon oncle Antoine » démontre qu’en 1941, on pratiquait déjà la politique de « 0 déchets ». Sophie Cadieux arrivait avec ses pots à l’épicerie. Il faut revenir à cette économie locale.
– Démocratisation de l’économie.
Pour l’achat de biens et de services locaux, à quelques endroits, on a développé une monnaie locale reconnue uniquement dans la région. La circulation de cette monnaie locale favorise la diminution des emballages et la réduction des transports de marchandises.
– Bâtir avec la nature.
Nous avons développé une culture du béton et une foi aveugle dans le béton. En plus de constituer un matériau dont la production engendre une quantité phénoménale de gaz à effet de serre, ce matériau nous fait vivre dans des villes minéralisées qui ne sont pas résilientes : grande quantité des ilôts de chaleur, imperméabilisation des surfaces, risques d’inondations, besoin de construire des conduites d’eau qui se jettent dans le fleuve avec de grandes quantités de contaminants, etc.
Nous devons arrêter de construire contre la nature pour plutôt bâtir avec la nature. Le bois s’avère un matériau noble qui a l’avantage d’inclure un phénomène de stockage de carbone très efficace. En plus d’être un matériau malléable sous les grands vents.
– Des bâtiments moins énergivores.
Nos maisons sont extrêmement énergivores. Il nous faut développer des bâtiments autonomes au niveau énergétique et qui soient carboneutres. La bibliothèque de Varennes en constitue un bon exemple. Avec son toit composé de 170 panneaux solaires, elle génère et gère sa propre électricité. Et elle se chauffe avec un système géothermique.
Elle génère même des surplus énergétiques qui lui permettent de chauffer l’eau de la piscine municipale.
– Des jardins sur les toits.
À Ville Saint-Laurent, un IGA s’est construit un toit qui permette la culture locale. C’est gagnant au niveau du transport des produits qu’on y récolte. Ce l’est au niveau de la fraîcheur des produits. C’est gagnant au niveau d’un ilôt de fraîcheur. Ce l’est pour la beauté du paysage pour les voisins. Et c’est gagnant au niveau architectural.
– Projets de sécurité alimentaire.
Dans l’ouest de l’île de Montréal, près de la ferme Mcdonald, un groupe de femmes préoccupées de créer une source de production d’aliments qui soient juste, ont loué à la ville de Montréal des terres en friche. En créant une entreprise d’insertion pour aider les gens à réintégrer le marché du travail, ils valorisent des jeunes, ils empêchent l’étalement urbain, ils créent des produits dont la moitié est distribuée aux banques alimentaires, et l’autre moitié aux citoyens ou aux commerçants du coin. Ils contribuent ainsi à l’économie locale.
– Habiter le territoire.
Beaucoup de villages disparaissent. Les jeunes familles quittent, et le cercle vicieux se met en branle : moins d’enfants, fermeture de l’école, du bureau de poste, de la caisse populaire, de la bibliothèque, etc.
À Saint-Camille, près de Sherbrooke, les gens se sont relevés les manches : « On va sauver le village… par le « rire ». Ils ont acheté une maison abandonnée pour en faire un centre de spectacles et se sont attelés à la tâche de convaincre les artistes à venir s’y produire. Ils ont revitalisé l’école.
Pour le recrutement des familles, ils ont ciblé les gens qui puissent travailler à distance. L’église est devenue un centre de conférences. Ils se sont dotés du meilleur système vidéo-conférence. Ils ont demandé à Vidéotron d’investir pour avoir Internet haute-vitesse, ce que Vidéotron a refusé. Les gens ont fait une campagne de financement pour acheter les poteaux et le câblage. À ce moment, Vidéotron a accepté de les brancher.
Il faut parfois, souvent, défier les règlements pour faire avancer des projets.
– Liens sociaux entre deux solitudes.
Sur la Basse-Côte-Nord, les distances sont très grandes pour les travailleurs des mines et des barrages. Sur la route qui mène au-delà de Natashquan, il y a là un désert alimentaire. La nourriture vient de Québec. Des gens se sont dit qu’ils devaient assumer une justice et une sécurité alimentaire et ont donc commencé à produire.
Cela a permis de briser deux solitudes : les Blancs et les Innus, et des liens sociaux se sont créés.
– L’espoir : dans les liens sociaux.
Le point commun le plus fort constaté dans tous ces projets, ce sont les liens sociaux qui se sont développés au cœur des projets. Personne n’a pu concevoir et réaliser ces projets tout seul. Dans cette adversité de perte de la biodiversité et de crise climatique, l’espoir se trouve dans les liens sociaux, dans cet élan vers l’autre.
Le Québec de demain se construit sous nos yeux. À votre manière, vous faites partie des groupes de transition.
Secrétaire : Pierre Prud’homme