Le Centre de services de justice réparatrice (CSJR), fondé en 2001 à Montréal, travaille pour créer des espaces d’expression, d’écoute et de partage entre des personnes touchées par des actes criminels. Les moyens mis en œuvre pour ce faire sont destinés à la fois aux personnes ayant été victimes d’actes criminels ou en ayant commis, de même qu’à des membres de la collectivité qui désirent s’engager dans un processus réparateur basé sur la rencontre et le dialogue. Les personnes victimes d’actes criminels sont soutenues dans leur besoin de s’exprimer et d’être reconnues. Les personnes ayant commis des actes criminels sont encouragées dans leur démarche de responsabilisation et leur volonté de réparation. Enfin, la collectivité est sensibilisée à cette forme de justice alternative et est invitée à y participer. L’approche de la justice réparatrice vise ainsi à contribuer à la paix sociale.
Toute démarche de justice réparatrice reposant sur la prise de parole libératrice des personnes ayant été victimes d’un crime, cette réflexion appliquée au contexte des abus sexuels en Église se doit de commencer par un tel témoignage. L’extrait disponible ici provient d’une balado produite par le CSJR. Dans cet extrait, Gilles, victime d’agression sexuelle dans son enfance (hors contexte religieux), relate ce que la démarche de justice réparatrice lui a donné de vivre.
Libérer la parole pour se libérer
La justice réparatrice permet la création d’espaces de dialogue sécuritaires. Au CSJR, nous proposons des « Rencontres Détenus-Victimes », les RDV, qui sont des rencontres en groupe, et nous proposons également des rencontres en format « Face-à-Face »1. Ces rencontres réunissent des personnes qui ont en commun un crime commis ou subi similaires. Autrement dit, dans nos rencontres, nous ne réunissons pas un offenseur et sa propre victime – une démarche que propose notamment Service correctionnel Canada. Une rencontre organisée par le CSJR pourrait rassembler, par exemple, des agresseurs et des personnes agressées, ou encore, des personnes coupables de meurtre et des gens dont la vie a été bouleversée par la mort violente d’un proche. Ces personnes se rencontrent à raison de plusieurs occasions échelonnées sur quelques semaines, au CSJR ou dans un pénitencier, et sont encadrées par des bénévoles formés. Pourquoi proposer de telles rencontres autour de crimes subis ou commis apparentés ? Parce que l’offenseur n’est peut-être pas connu de la victime, ou que cette dernière préfère ne pas le revoir, ce que l’on peut très bien comprendre. Parfois, l’auteur du crime est décédé, n’a pas été dénoncé, ou ne reconnaît pas les gestes posés. Dans tous ces cas de figure, les rencontres que propose le CSJR permettent à des personnes ayant été victimes de vivre un processus de justice réparatrice qu’elles n’auraient possiblement pas vécu autrement.
Le dialogue dans ces rencontres ouvre des espaces de réponse à des questions qui hantent la victime : « Pourquoi as-tu posé un tel geste ? », « Es-tu conscient des souffrances que ton geste a causées ? », « Pourquoi moi ? ». En répondant avec transparence, la personne qui a posé des gestes de violence aide la personne victime à se réparer et, dans la foulée, elle se répare elle-même. Ultimement, c’est le tissu social qui se trouve réparé, là où le crime avait brisé la confiance nécessaire au vivreensemble. Cette dimension sociale se trouve intégrée grâce à la présence de citoyennes et citoyens qui, dans le dialogue, représentent la collectivité. Cela rend tangible le fait que le crime nous affecte toutes et tous et que nous en sommes responsables.
Enfin, si la justice réparatrice est souvent associée à la notion de pardon, celui-ci n’est pourtant pas l’objectif d’une telle démarche. Pour certaines personnes ayant été victimes, l’idée du pardon est vécue comme une pression, voire un besoin de l’offenseur qui voudrait apaiser sa conscience. Pour d’autres, le pardon sera vécu comme un geste très personnel destiné en premier lieu à se libérer soi-même.
La justice réparatrice ne s’oppose pas à la justice traditionnelle : elle lui est complémentaire. La justice réparatrice rend à la personne la liberté de changer et de guérir intérieurement. Il ne s’agit pas de nier ou de banaliser les gestes répréhensibles, mais d’aller plus loin que la seule punition.
Une justice réparatrice en Église ?
Face aux abus sexuels, l’Église catholique a mis en place des politiques de prévention des abus et de pastorale responsable pour des environnements pastoraux sécuritaires. Œuvrer à la prévention, c’est montrer aux personnes victimes que nous sommes conscients de l’impact des gestes qu’elles ont subis.
Cependant, qu’en est-il de la réparation en Église ? Des agressions ont déjà eu lieu : des vies ont été bouleversées, le tissu social de plusieurs communautés de foi a sévèrement été fragilisé, des offenseurs ont été jugés. Ce sont là les trois éléments-clés de la justice réparatrice : celle-ci tient compte des personnes ayant été victimes, des offenseurs et de la collectivité, et elle propose une démarche où toutes et tous trouveront un apaisement.
Parmi les voies de réparation possibles en Église, en voici deux.
1. Les cercles réparateurs
Cette initiative a été observée notamment en France et aux États-Unis. Le 3 novembre 2018, à Lourdes, durant l’assemblée plénière des évêques de France, ces derniers ont rencontré des victimes d’abus sexuels commis par le clergé. En quatre temps différents, quatre cercles d’évêques ont écouté des personnes victimes témoigner de leur vécu et proposer des pistes de prévention et de guérison. Le format de rencontre ne faisait pas l’unanimité, tant du côté des victimes que des évêques, mais le moment aura été important pour écouter la parole des personnes survivantes de tels drames. « Je me suis sentie en quelque sorte réintégrée dans le corps de lʼÉglise dont je mʼétais sentie rejetée », a dit Véronique Garnier, abusée par un prêtre pendant deux ans, au début de l’adolescence.
Aux États-Unis, le 1er mai 2019, une rencontre similaire a eu lieu à la Catholic University of America. Durant une journée entière, des discussions ont eu cours entre personnes victimes, une douzaine d’évêques, des spécialistes du droit canon, des spécialistes en protection de la jeunesse et des intervenants oeuvrant auprès des personnes victimes.
2. Les messes de réparation
Cette piste d’action relève plus de la portée symbolique et réparatrice des rituels. Normalement, une messe de réparation se tient lorsqu’un geste grave est commis dans un lieu sacré. En 2019, l’archidiocèse de Hartford (Connecticut, É.-U.) a tenu des messes de réparation, notamment dans une paroisse où cinq prêtres agresseurs (sur 48 identifiés par le diocèse) avaient sévi. L’archevêque s’est présenté devant l’assemblée, à genoux, puis prostré, et a demandé pardon à Dieu, à l’assemblée, à toute la communauté, et bien sûr, aux personnes victimes et à leurs familles. D’après Alain Ferron, prêtre et aumônier en milieu carcéral à Laval (Québec), le geste aurait été encore plus fort si des gens dans l’assemblée avaient, eux aussi, avec l’archevêque, fait une prostration devant les personnes victimes. Cela aurait symbolisé la responsabilité de la collectivité dans le crime comme dans la réparation.
Un espace d’humanité
La justice réparatrice n’a rien de magique. Elle n’est pas faite pour toutes les personnes ayant été victimes, ni pour toutes les personnes ayant commis un crime. Il ne s’agit pas d’une démarche pour débuter un chemin de guérison. La justice réparatrice propose, dans la liberté, un chemin d’espérance pour ouvrir un espace d’humanité, non entaché par la violence subie ou perpétrée.
Pour terminer, voici un extrait du témoignage d’un offenseur, Jean-Paul. C’est avec lui que Gilles, le survivant d’agressions sexuelles proposé en début d’article, a fait une démarche de justice réparatrice. Le mot de la fin est à lui, pour ouvrir un espace d’humanité. Souhaitons que l’Église sache créer de tels espaces dans un avenir proche.
Retrouvez ici les baladodiffusions et émissions du Centre de services de justice réparatrice dans la section Témoignages de son site Internet.
Mathieu Lavigne
Centre de services de justice réparatrice (Montréal)
1 Les services du CSJR sont gratuits et tout le processus, que l’on soit victime ou offenseur, se fait sur une base volontaire. Aussi, la démarche n’affecte pas le dossier d’une personne détenue, car il s’agit d’une démarche personnelle.
Cet article est extrait du webzine ad vitam de l’automne 2019 « Abus en Église : entre crise et espérance ».