Aux frères et sœurs consacrés,
Nous rendons continuellement grâce pour vous, « à cause de la grâce de Dieu qui vous a accordée dans le Christ Jésus, parce qu’en lui vous avez été enrichis de tous les dons » et « appelés à la communion avec son Fils Jésus-Christ notre Seigneur » (1 Co 1, 4). En ce moment dramatique, nous nous sentons solidaires de tous les hommes et de toutes les femmes « dans la tribulation et la persévérance » (cf. Ap 1, 9), non seulement à cause de l’événement pandémique, mais surtout à cause de ses conséquences, qui nous touchent de près dans les affaires quotidiennes de la communauté civile et ecclésiale. Les hommes et les femmes consacrés sont personnellement appelés à réveiller en chacun le sens de l’espérance.
Nous ne voulons pas que passe inaperçu le 25ème anniversaire (25 mars 1996) de la publication de l’Exhortation Apostolique Vita Consecrata de Saint Jean Paul II, fruit de la réflexion de la Neuvième Assemblée du Synode des Évêques célébrée en octobre 1994. Les évêques y ont confirmé à plusieurs reprises que « la vie consacrée est placée au cœur même de l’Église comme un élément décisif pour sa mission […] elle est un don précieux et nécessaire pour le présent et pour l’avenir du people de Dieu » (Vita Consecrata, 3).
À cette occasion, nous ressentons comme nôtre l’invocation et l’action de grâce exprimées dans les paroles du Pape François : « Seigneur, mon salut vient de Toi, mes mains ne sont pas vides, mais pleines de ta grâce. Savoir voir la grâce est le point de départ » (Homélie, 1er février 2019). Regarder en arrière, relire son histoire, c’est y voir le don fidèle de Dieu, non seulement avec notre propre regard, mais avec « le regard des fidèles » (Vita Consecrata, 1), dans la conscience que le mystère du Royaume de Dieu est déjà à l’œuvre dans notre histoire et attend sa pleine revalidation au ciel (ibid).
Devant Dieu pour le monde
L’Exhortation Apostolique Vita Consecrata est publiée en des temps de grande incertitude, dans une société liquide, avec des identités confuses et des appartenances faibles. Il est donc surprenant de constater la certitude avec laquelle est définie l’identité de la vie consacrée, « icône du Christ transfiguré » (Vita Consecrata, 14) qui révèle la gloire et le visage du Père dans la splendeur rayonnante de l’Esprit. La vie consacrée comme confessio Trinitatis ! En réalité, il n’y a pas seulement ici le souci de donner un fondement solide à l’identité de la personne consacrée, mais plutôt une manière originale de voir cette identité, en intégrant le divin et l’humain, en percevant intuitivement ce lien mystérieux et lumineux entre l’ascension et la descente, entre la hauteur transcendante et l’immersion kénotique dans les périphéries de l’humain, entre la beauté sublime à contempler et la pauvreté douloureuse à servir.
De cette féconde intuition découlent de précieuses conséquences.
La force de la relation
Vita Consecrata est entièrement construite autour de l’idée de relation, relation engendrée dans et par le Mystère de Dieu communion trinitaire. Un salut qui passe par la vie de celui qui prend l’autre en charge. Un témoignage qui n’est pas singulier, mais venant d’une fraternité qui vit ce qu’elle annonce et qui est heureuse. Une sainteté Communautaire, non pas de solitaires parfaits, mais de pauvres pécheurs qui partagent et offrent chaque jour miséricorde et compréhension. Une consécration qui ne s’oppose pas aux valeurs du monde et à la soif universelle de bonheur, mais qui au contraire dit à tous comment le fait d’être pauvres, chastes, obéissants à un grand pouvoir humanisant, est une véritable écologie de l’être humain, donne sens et équilibre à la vie, harmonie et liberté dans le rapport avec les choses, sauve de tous les abus, crée la fraternité, offre la beauté… Aujourd’hui, la vie consacrée se sent plus « pauvre » que par le passé, mais elle vit -par grâce- beaucoup plus en relation avec l’Église et le monde, avec ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, avec ceux qui souffrent et sont seuls.
Les sentiments du Fils
Un aspect particulier de la dimension relationnelle semble atteindre son point culminant lorsque le document aborde le thème de la formation. Pas n’importe quelle relation, mais une relation qui conduit à avoir en soi les mêmes sentiments que le Fils obéissant, le Serviteur souffrant, l’Agneau innocent.
Il ne s’agit pas d’un élément essentiellement nouveau, si l’on considère que déjà dans le passé, on utilisait les registres relationnels de suivre, d’identifier, d’imiter le Christ, mais ici on dit quelque chose de plus et, par certains aspects, quelque chose d’inédit, offert par la Parole (Ph 2, 5). Il s’agit d’une relation qui atteint un contact si intense et si profonde qu’elle redécouvre en elle-même la sensibilité du Fils, à son tour image et incarnation de la sensibilité du Père. En fait, nous, chrétiens, croyons en un Dieu sensible : il entend les gémissements des opprimés et écoute la supplique de la veuve ; il souffre avec l’homme et pour l’homme. Nous voulons croire que la vie consacrée, avec ses multiples charismes, est précisément l’expression de cette sensibilité. On pourrait dire que chaque institut souligne avec son propre charisme un sentiment divin particulier. C’est précisément pour cette raison que la formation est présentée dans l’Exhortation comme un processus qui conduit dans cette direction : éprouver les mêmes sensations, émotions, sentiments, affections, désirs, goûts, critères électifs, rêves, attentes, passions… que le Fils-Serviteur-Jésus.
C’est un projet exaltant, qui réunit admirablement et une fois de plus « intègre » les dimensions spirituelles et anthropologiques. C’est un projet qui pourrait véritablement transformer l’idée de formation dans ses contenus, ses modalités et ses temps. Ce sera enfin une formation intégrale, construite sur le roc de l’amour éternel qui rend libre, forme des personnes intègres qui ont appris à évangéliser leur sensibilité pour aimer Dieu avec un cœur humain et aimer l’homme avec un cœur divin ! Ce sera une formation qui se poursuivra dans le temps, tout au long de la vie. Et c’est là une autre grande intuition, qui reste en grande partie à comprendre et plus encore à mettre en pratique aujourd’hui.
L’enchantement de la beauté
Si Dieu est beau et que le Seigneur Jésus « est le plus beau parmi les fils de l’homme », alors être consacré à lui est beau. La personne consacrée est appelée à être un témoin de la beauté. Dans un monde qui risqué de sombre dans un abrutissement inquiétant, la via pulchritudinis semble être le seul moyen de parvenir à la vérité, ou de la rendre crédible et attractive. Les hommes et les femmes consacrés doivent réveiller en eux, mais surtout chez les hommes et les femmes de notre temps l’attrait pour ce qui est beau et vrai.
Beaux, et non seulement courageux et véridiques, doivent être le témoignage et la parole offerte, parce que beau est le visage que nous annonçons.
Beau doit être ce que nous faisons et comment nous le faisons.
Belles doivent être la fraternité et l’atmosphère que l’on y respire.
Beaux doivent être le temple et la liturgie, auxquels tous sont invites, car il est beau de prier et de chanter les louanges du Très-Haut et de se laisser porter par sa parole.
Beau d’être ensemble en son nom, de travailler ensemble, même si parfois c’est difficile.
Beau d’être vierges pour aimer de tout son cœur, d’être pauvres pour dire qu’il est le seul trésor, d’obéir à sa volonté de salut et ensemble de le chercher lui seul.
Beau d’avoir un cœur libre d’accueillir la douleur de ceux qui souffrent pour leur montrer la compassion de l’Éternel…
Beau doit être l’environnement, dans la simplicité et la sobriété créative : la maison, la table mise… qu’il y ait du gout et du décorum dans les pièces, afin que tout dans la demeure laisse transparaître la présence et la centralité de Dieu.
Beauté suprême, sacrement de la beauté mystérieuse de l’Éternel. Comme Pierre s’est exclamé sur le Thabor avant cette explosion de lumière et de splendeur.
Vita Consecrata a certainement marqué l’expérience et la réflexion des personnes consacrées au cours de ces années. Nous sommes convaincus que l’Exhortation doit continuer à être un point de référence dans les années à venir, avec les documents du Magistère et de la CIVCSVA qui ont approfondi les thèmes fondamentaux. En effet, nous sommes sûrs qu’elle peut encore nourrir la fidélité créative des personnes consacrées, qui est l’épine dorsale de la vie consacrée du troisième millénaire. Répondre aux défis qui viennent de l’Église et de la Société d’aujourd’hui implique de grandir dans la signification évangélique : « nous ne pouvons pas – exhorte le Pape François – rester immobiles dans la nostalgie du passé ou nous limiter à répéter les choses de toujours, ni dans les lamentations de chaque jour. Nous avons besoin de la patience courageuse de marcher, d’explorer de Nouvelles routes, de chercher ce que l’Esprit Saint nous suggère. Et cela se fait avec humilité, avec simplicité, sans grande propagande, sans grande publicité » (François, Homélie, 2 février 2021).
C’est avec confiance que nous adressons à Marie notre prière pour les hommes et les femmes consacrés « sachent lui rendre témoignage par une existence transfigure, en avançant dans la joie, avec tous leurs autres frères et soeurs, vers la patrie céleste et la lumière sans crépuscule » (Vita Consecrata, 112). Nous saisissons cette occasion pour vous saluer et nous souhaiter toute paix et tout bien dans le Seigneur, qui est le TOUT pour nous personnes consacrées.
Cité du Vatican, 25 mars 2021. Solennité de l’Annonciation du Seigneur.
João Braz, Cardinal de Aviz, Préfet
+ Fr. José Rodríguez Carballo, ofm, Archevêque Secrétaire