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29 décembre 2020

« Voici que je fais toutes choses nouvelles », réflexion biblique sur la transformation

On m’a demandé de méditer avec vous sur cette magnifique phrase « Voici que je fais toute chose nouvelle » (Isaïe 43, 19).* Cette prophétie est particulièrement inspirante quand on connaît le contexte historique de sa proclamation. Le prophète intervient à un moment tragique. Le peuple de l’Alliance vit une grande catastrophe. Le roi babylonien Nabuchodonosor a conquis Jérusalem : il a mis le feu à la ville et détruit le temple, symbole de la présence de Dieu. Il a tué tous les fils du roi et l’a déporté en Babylonie avec toute une partie de la population.

Les déportés sont complètement découragés. Ils sont en plein syndrome post-traumatique. Ils ont tellement de deuils à vivre! Ils connaissent tous des personnes qui ont été tuées. En plus, plusieurs ont été arrachés à leur famille pour être déportés. Ce n’est pas sans rappeler la situation des Acadiens à partir de 1755. Les déportés d’Israël ont aussi à vivre un deuil au niveau liturgique : ils ne peuvent plus offrir de sacrifices au Seigneur, puisqu’ils n’ont plus de temple. Loin de leur terre, ils ont l’impression d’être séparés de leur Dieu et de ne plus pouvoir le prier. Cela est très bien exprimé dans le Psaume 137 (136) : « Comment chanterions-nous un chant du Seigneur sur une terre étrangère ? » Ils ont en quelque sorte à faire le deuil de leur Dieu. D’ailleurs, ils ne le comprennent plus. S’ils sont le peuple élu, comment expliquer de si grands malheurs ? C’est au coeur de cette grave crise que le prophète fait résonner la parole de Dieu. Cela représente déjà une nouvelle extraordinaire de découvrir que la voix de Dieu peut les rejoindre jusque dans leur exil. Dieu ne les a pas abandonnés ! Et s’il leur parle, cela signifie qu’il est là avec eux, au coeur de la crise. Ce que Dieu leur exprime est renversant. « Me voici en train de faire du neuf ».

Nous aussi, nous avons vécu beaucoup de deuils à cause du coronavirus. Plusieurs d’entre nous ont perdu des êtres chers. Plusieurs ont fait le deuil de liturgies, de rassemblements, d’activités qui leur tenaient à coeur. Nous sommes blessés par tout cela. Nous traversons une crise qui n’est pas terminée.

Retournons au texte d’Isaïe « Me voici en train de faire du neuf. » Il importe d’écouter tout le verset de même que celui qui le précède :

Ne faites plus mémoire des événements passés, ne songez plus aux choses d’autrefois. Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? Oui, je vais faire passer un chemin dans le désert, des fleuves dans les lieux arides. (Is 43, 18-19)

Le prophète révèle que la nouveauté est déjà présente, en germe, au coeur même de la crise et du deuil. Parler de germe, c’est évoquer quelque chose qui commence petitement, mais qui porte un dynamisme de croissance.

Le prophète invite par conséquent à un exercice de discernement. Il convie à être attentifs pour apercevoir ce que Dieu est entrain de faire pousser au coeur même du désastre. Dieu parle au présent. En hébreu, il y a un participe présent au v. 19 : « me voici en train de faire du neuf ». Il s’agit d’une action en cours. Je dirais même que ce sont les ruines de la catastrophe qui constituent l’engrais de ce que Dieu fait germer.

Le prophète emploie aussi d’autres images très inspirantes. Il annonce que Dieu ouvrira un chemin dans le désert. Un chemin permet d’avancer, de passer au travers et d’aller plus loin. Dieu offrira le chemin pour sortir de la crise. De plus, il promet une abondance d’eau dans les lieux arides. L’eau représente bien sûr la vie ! Ainsi Dieu fera jaillir la vie des situations de mort.

Cependant, pour apercevoir la nouveauté de Dieu, pour y entrer et l’accueillir, il s’avère nécessaire de renoncer au passé. Le prophète appelle à ne pas rester empêtrés dans le passé, à ne pas chercher à s’y agripper désespérément. Il demande d’« oublier le passé. »

Remarquons le sujet des actions de renouvellement : « Me voici faisant du neuf », « Je vais faire passer un chemin dans le désert… ». C’est Lui, Dieu, qui agit. Il n’exige pas de nous, humains, que nous soyons capables de faire preuve de créativité. Dieu s’en charge ! Il demande toutefois d’être attentifs à ce qu’il est en train de faire surgir. Il nous invite à lui faire confiance. Sommes-nous prêts à cela ?

La proclamation du 2e Isaïe est reprise par Jean de Patmos, le voyant de l’Apocalypse, en 21, 5. Encore une fois, la parole de Dieu se fait entendre suite à un terrible drame. Cette fois-ci nous sommes dans l’Empire romain, probablement au début des années 90 de notre ère. La jeune communauté chrétienne a vécu des événements traumatisants. La grande persécution déclenchée par l’empereur Néron a laissé des marques profondes. De nombreux chrétiens sont morts de manière violente, dont saint Paul et saint Pierre. Ces persécutions sont terminées, mais l’Église fait face à une autre menace : une tentative d’assimilation. Toute la machine de propagande romaine s’emploie à transformer les chrétiens en citoyens comme les autres. D’ailleurs, pour éviter tout problème et toute forme de persécution, plusieurs sont rentrés dans les rangs et ont abandonné leur foi (Ap 12, 4). L’Église traverse une nouvelle crise. C’est alors que Jean fait résonner la voix de Dieu : « Voici que je fais toutes choses nouvelles ».

Aux yeux de Jean, comme le monde présent paraît corrompu et comme l’empire romain semble invincible, il annonce que Dieu créera un monde nouveau. Encore une fois, Dieu ne demande pas aux humains d’être capables d’opérer cette transformation. Dieu lui-même fera advenir cette nouveauté radicale.

Chose surprenante, Jean proclame au verset suivant : « c’est arrivé ! » (Ap 21, 6) Comment peut-il annoncer que le monde nouveau est arrivé ? Pour ma part, j’aurais parlé au futur : « Cela arrivera ! » Mais lui en parle comme d’une chose déjà réalisée. Pourquoi ?

C’est à cause du mystère pascal. Une autre crise à partir de laquelle Dieu a fait surgir de la nouveauté. La vie de Jésus s’était terminée comme un échec. La croix avait provoqué détresse et désespérance (Luc 24, 21). Mais Dieu a suscité de l’inattendu : il a ressuscité Jésus. Jean est convaincu que le monde nouveau est commencé parce que Jésus y est déjà entré. Puisque qu’il habite ce monde nouveau, nous y sommes aussi d’une certaine façon car nous sommes greffés sur lui par notre foi et notre baptême. Il est la tête et nous sommes son corps (Éphésiens 5, 23. 30). Une mère de famille m’a fait comprendre cela en m’expliquant que, le plus difficile lors d’un accouchement, est la sortie de la tête de l’enfant. Une fois que celle-ci est passée, le reste du corps sort facilement, puisque le passage est ouvert.

De même en est-il pour nous. Notre tête, le Christ, est passé à la vie nouvelle. Il est entré dans cette nouveauté radicale. Alors, le reste du corps suivra.

Oui, Dieu est à l’œuvre faisant advenir le monde nouveau. Ne le voyez-vous pas ? Ouvrons les yeux et ne demeurons pas agrippés aux choses du passé.

* Le P. Michel Proulx, membre de la Commission théologique de la CRC, a présenté cette réflexion dans le cadre des webinaires des 22 et 24 septembre 2020, pour les membres de la CRC.

Père Michel Proulx, O Praem, professeur et membre de la Commission théologique de la CRC

Ce texte est extrait du webzine ad vitam de l’automne 2020 « L’espérance au temps de la pandémie ».