La crise majeure que vit actuellement l’Église catholique concernant les divers abus commis par des ecclésiastiques, des religieux et des religieuses est dévastatrice pour sa crédibilité. Les porteurs d’un message de vérité ne peuvent dissocier leur comportement du témoignage qu’entend porter leur discours.
L’attention et l’aide doivent être indubitablement orientées vers les victimes en premier lieu, qu’elles soient d’âge mineur ou adultes. La réparation, bien avant d’être pécuniaire, se joue dans l’accueil et l’écoute de l’expérience des personnes et la recherche commune de la voie vers une possible guérison.
Des victimes collatérales
Le drame des abus crée également des victimes collatérales. En aucun cas les propos qui suivent ne veulent nuancer cette attention première et nécessaire offerte aux victimes.
Je voudrais toutefois, dans ce webzine destiné notamment aux responsables de congrégations religieuses, partager mon expérience d’avoir dirigé une communauté tant au niveau provincial (au Canada) qu’à la direction générale, où j’ai été confronté plus d’une fois à des situations d’allégations et de gestion de cas d’abus.
Je pense aux personnes assumant le leadership des congrégations affectées par ces drames et à toutes ces religieuses, tous ces religieux qui voient le nom qu’ils portent être entaché d’une lourde honte. Oublier ces éléments dans le triste phénomène des abus sexuels serait occulter une partie de la réalité. Les gestes déplorables de quelques personnes ne rendent pas toute une communauté coupable, mais tous ses membres en souffrent, plusieurs se découragent et l’ensemble est affecté par les conséquences concrètes.
Une relecture de notre histoire
Les moments de crise personnelle sont complexes et des appels à l’aide deviennent nécessaires. Courageuses sont les personnes qui savent résister à la tentation de l’enfermement et qui vont cogner aux bonnes portes afin d’obtenir de l’aide. Les congrégations religieuses sont aussi des univers complexes qui ont tendance à ériger des murs protecteurs afin que les problèmes se règlent en famille.
À court terme, les responsables des congrégations doivent faire face aux impératifs des dénonciations d’abus sexuels ou psychologiques. À moyen et long terme, il faut aussi un processus pour que l’histoire d’une famille religieuse, sa mission réalisée au cours des ans et le dévouement de tant de femmes et d’hommes consacrés à leur mission ne s’effondrent pas. En effet, le poids d’une peine qui se transforme en honte peut entraîner le découragement et le désengagement. Quelle triste vie que de ne plus pouvoir se regarder dans le miroir de l’histoire de sa communauté !
J’ose avancer une piste : ne tentons pas de relire notre histoire que par nous-mêmes. Nous avons besoin de l’aide de femmes et d’hommes qui nous apporteront un regard éclairé, sage et juste. Un regard de l’extérieur qui aère l’intérieur et lui redonne le goût de vivre. Non pas une vision de « ne vous en faites pas… » qui nierait la gravité de la situation, mais une perspective qui élève le regard sans pour autant nier les erreurs commises. C’est alors que spirituellement la prière devient puissante, car un regard de foi qui sait identifier les écueils de la route, mais qui n’accepte pas l’effondrement, entraîne vers un devenir renouvelé.
La voie de la consolation
Dans son encyclique Spe Salvi, le pape Benoît XVI nous indiquait les bases de l’espérance dans ce monde bouleversé.
Accepter l’autre qui souffre signifie, en effet, assumer en quelque manière sa souffrance, de façon qu’elle devienne aussi la mienne. Mais parce que maintenant elle est devenue souffrance partagée, dans laquelle il y a la présence d’un autre, cette souffrance est pénétrée par la lumière de l’amour. La parole latine « con-solatio », consolation, l’exprime de manière très belle, suggérant un être-avec dans la solitude, qui alors n’est plus solitude. (Spe Salvi n° 38)
Les congrégations ont toujours un témoignage à apporter. Que ce soit dans leurs moments de joie comme dans les épreuves, elles doivent témoigner d’une espérance qui entraîne ce qui nous est promis dans le présent.
Au coeur de toutes ces situations pénibles des abus commis dans l’Église, nous, religieuses et religieux, soyons des femmes et des hommes au coeur consolant. Soyons avec les gens qui souffrent, victimes directes des abus, ou ces autres collatérales, qui doivent aussi porter ces fautes. Donnons-nous les moyens de relire posément notre histoire avec les « sages » de ce monde qui sauront nous rappeler la leçon de la parabole de l’ivraie et du bon grain.
Sur les chemins où nous peinons,
comme il est bon,
Seigneur, de rencontrer ta croix !
Sur les sommets que nous cherchons,
nous le savons Seigneur,
nous trouverons ta croix !
Et lorsqu’enfin nous te verrons
dans la clarté, Seigneur,
nous comprendrons ta croix !
(Hymne du Vendredi Saint)
Alain Ambeault, CSV
Directeur général, Conférence religieuse canadienne
Ce témoignage est extrait du webzine ad vitam de l’automne 2019 « Abus en Église : entre crise et espérance ».