Contrairement à la croyance populaire, l’esclavage fait vraiment parti de l’histoire canadienne.
Le premier esclave canadien
La première personne noire connue à avoir vécu au Canada, était un natif de Madagascar qui fut amenée vers l’âge de 7 ans par le commandant britannique David Kirke lors de son invasion de la Nouvelle-France. Il fut vendu par la suite à Olivier Le Tardif, clerc en chef de la colonie française. Quand le Québec revint aux mains des français en 1632, Le Tardif qui avait souvent collaboré avec les britanniques, fut obligé de fuir. Il vendit alors son esclave à un résident de Québec, Guillaume Couillard Lespinacy (1591-1663), et le garçon fut éduqué dans une école fondée par le père Le Jeune, un jésuite. On le baptisa plus tard du nom d’Olivier Le Jeune ( 1625 ? – 1654) dont le prénom rappelle celui du clerc en chef français et le nom, celui du prêtre jésuite. Olivier Le Jeune mourut le 10 mai 1654. On raconte qu’avant sa mort, son statut officiel fut changé de ‘serviteur’ à personne affranchie.
Une pratique courante
L’esclavage est devenu une pratique courante en Nouvelle France et l’Église devint la plus importante propriétaire d’esclaves. Plusieurs se sont demandés comment cela put arriver alors qu’en 1435 le pape Eugène IV dans sa bulle Sicut Dudum a condamné l’esclavage et ceux qui s’y engageaient, ceux-là qui ignoraient la bulle étant excommuniés ipso facto. Le pape Paul III en 1537 a publié la bulle Sublimis Deus qui condamnait l’esclavage. Le pape Grégoire XIV en 1691, le pape Urbain VIII en 1639 et le pape Benoît XIV en 1741 ont aussi condamné l’esclavage. Nous pouvons donc présumer que ces Jésuites et les religieuses qui ont possédé des esclaves étaient excommuniés.
De fait, les ports sont les premiers lieux où sont utilisés les esclaves. Ce n’est pas étonnant considérant que les transactions étaient souvent faites en mer donc légales.
Ensuite, les premiers cultivateurs s’installant en Nouvelle France font face à un travail herculéen pour pouvoir, défricher, bâtir et faire prospérer leurs fermes dans cette terre quasi inhabitée. On réclame donc des esclaves, même si THÉORIQUEMENT, cette pratique n’est légalisée que vers 1689 par un édit de Louis XIV, et solidifiée en Nouvelle France par une ordonnance de l’Intendant Raudeau en 1709.
L’esclave : un « Bien meuble »
La raison était bien simple : lorsqu’un esclave se sauvait de son domicile, celui qui le trouvait pouvait réclamer sa propriété. La légalisation a donc été modifiée pour que l’esclave soit reconnu « bien meuble », devant notaire! « Le gouverneur Beauharnois, au lendemain de la capitulation devant les forces anglaises, a écrit au ministère de la Marine française pour lui dire qu’ils avaient été obligés de capituler devant le général Amherst, mais que les Anglais leur laissaient ‘leur religion et leurs nègres’ », relate Paul Fehmiu-Brown.
Combien y en avait-il au Canada ?
L’historien Marcel Trudel a compté 4 092 esclaves à travers l’histoire canadienne, desquels 2 692 étaient des indiens, les favoris des francophones et 1 400 noirs, les favoris des anglophones, appartenant à environ 1 400 maîtres. La région de Montréal dominait avec 2 077 esclaves, en comparaison de 1 059 pour Québec et 114 pour Trois-Rivières. Plusieurs appartenaient à des communautés religieuses. Plusieurs mariages ont eu lieu entre les colons français et des esclaves (31 mariages avec des esclaves indiens et 8 avec des esclaves noirs), ce qui signifie qu’un certain nombre de Québécois aujourd’hui ont des esclaves quelque part dans leur arbre généalogique.
Le retour dans l’Afrique natale
L’historien met aussi en lumière comment certains esclaves canadiens ont été déportés en Afrique : «En 1783 et 1784 c’est la lutte pour l’indépendance américaine. Lorsque les loyalistes fidèles à la couronne d’Angleterre fuient les USA, ils viennent s’établir en Estrie et près du canal Lachine. Le gouvernement canadien a acheté une terre en Sierra Leone et a demandé aux esclaves devenus très nombreux avec l’arrivée des loyalistes s’ils voulaient retourner sur leurs terres ancestrales. Ceux qui ont accepté la proposition du gouvernement y ont exporté, entre autres, le système juridique britannique. C’est la raison pour laquelle on retrouve des juges qui siègent avec une perruque blonde, en Sierra Leone. »
Une initiative qui a inspiré les États-Unis, qui ont fondé le Liberia, en 1822, par le truchement de la National Colonization Society of America, pour y installer les esclaves noirs libérés.
L’abolition du commerce
Paradoxalement, c’est à la conquête britannique que nous devons l’abolition définitive de l’esclavage. Au moment de la Révolution américaine, les esclaves qui fuient leurs maîtres américains, sont reçus ici à bras ouverts en tant que ‘loyalistes’.
De plus, dans la 1e moitié du 18e siècle, la Grande Bretagne est frappée par un mouvement de retour au Christianisme authentique des Évangiles : Le REVIVAL. Ce mot d’ordre existait chez des mouvements chrétiens dissidents comme les premiers Franciscains, les premiers Vaudois, les Lollards de Wycliffe, les Anabaptistes, les Frères Moraves, les Diggers et les Quakers.
Mais c’est au 18e siècle que la très conformiste Église Anglicane sera à son tour touchée par un tel mouvement, à l’intérieur même de ses rangs, ce qui fera en sorte que ce mouvement du Revival atteindra une bien plus grand couche de la société britannique. Ainsi naîtra le premier mouvement égalitariste et anti-esclavagiste de l’histoire de l’humanité. Après avoir soufflé sur les pays protestants, ce vent de l’Esprit…-saint touchera de manière plus indirecte la France et ses intellectuels séculiers.
Au Canada, touché par ce mouvement, alors qu’il venait d’être nommé lieutenant-gouverneur du Haut-Canada en 1791, John Graves Simcoe a planifié d’établir une province où l’esclavage serait illégal, fondant cela sur le fait que cette pratique était incohérente avec un état libre.
En 1793, il a convaincu l’Assemblée législative du Haut Canada d’adopter les premières mesures restreignant considérablement l’esclavage au sein de l’Empire britannique, mesures qui interdisaient l’importation de nouveaux esclaves au Haut Canada. Il enclenche ensuite un processus d’émancipation graduelle.
C’est en conséquence de cette décision que le Haut-Canada devint un refuge pour les esclaves africains d’Amérique qui, en quête de liberté, empruntèrent le chemin de fer clandestin entre 1815 et 1860.
Au Bas Canada, les juges refusent de sévir contre les esclaves fugitifs, et Louis Joseph Papineau échoue dans sa tentative de faire reconnaître les droits de propriété des maîtres sur leurs esclaves.
Grâce à Simcoe, le 25 mars 1807, le roi George III a sanctionné la loi portant sur l’abolition de la traite des esclaves, qui marquait le début de la fin de cette pratique honteuse et interdisait aux navires britanniques de participer au commerce et au transport des esclaves.
En fait, plusieurs facteurs sont à l’origine de la décision du Parlement britannique d’ablir la traite des esclaves. Notamment, en 1787, la création d’une société anti-esclavagiste par Grandville Sharp et Thomas Clarkson; la campagne menée par les Noirs libres, dont Quobna OttobahCugoano, Thomas Peters, Olaudah Equiano et Ignatius Sancho; et la Révolution haîtienne de 1804.
L’abolition complète
William Wilberforce poursuivit sa lutte contre l’esclavage jusqu’en 1833 où, sur son lit de mort, il apprit que le Parlement avait adopté sa loi interdisant complètement l’esclavage. En 1834, l’émancipation définitive des esclaves de tout L’Empire sera proclamée. Par contre, en France, après qu’on a eu la velléité d’abolir immédiatement l’esclavage au moment de la Révolution, ce n’est qu’en 1848, qu’on finira par l’abolir définitivement.
Refuge pour les esclaves étatsuniens
Nous devons aussi nous souvenir des héros qui ont fait du Canada une terre d’accueil au bout du chemin de fer clandestin. Grâce à leurs efforts, des dizaines de milliers d’esclaves étatsuniens ont pu s’échapper et trouver refuge au sein de l’Amérique du Nord britannique, dont des milliers de loyalistes noirs qui ont participé à établissement de la Nouvelle Écosse.
Des marins impliqués
Enfin, soulignons le rôle joué par les courageux marins de la Marine royale de Halifax, dont plusieurs étaient établis dans le port de Halifax. Courant de grands risques, et souvent contre leur gré puisqu’ils étaient souvent enrôlés de force ici à Halifax, ils ont aidé à faire respecter l’interdiction sur le commerce des esclaves africains tout au long du XIXe siècle.
Y a-t-il encore des esclaves au Canada?
« Il y a au moins 27 millions de personnes piégées dans diverses formes d’esclavage dans le monde aujourd’hui, et cela est plus que les personnes qui ont subi la traite en Afrique il y a 400 ans. » a affirmé Jamie McIntosh, la directrice générale de la division canadienne de International Justice Mission.
L’étendue de ce crime au Canada est encore discutable. Les statistiques de la GRC situent le nombre de victimes entre 800 et 1 200 par année, alors que les Ong fixent le nombre plus près de 15 000. La GRC estime que, pour Toronto seulement, on fournit 100 filles par année au commerce du sexe. Elles cèdent à leurs patrons autour de 5 millions de dollars.
La plupart des femmes victimes de la traite au pays proviennent de la région Asie-Pacifique, en particulier de la région chinoise du Fujan et de la Corée du Sud. À l’intérieur du Canada, les victimes proviennent souvent des réserves indiennes. En Ontario, au Québec et en Atlantique, elles proviennent surtout de l’Europe de l’Est.
Jean Bellefeuille
CRC JPIC National (jusqu’en 2016)