La Bible, véritable bibliothèque de genres littéraires, comporte aussi des textes dont le contenu violent surprend, notamment dans l’Ancien Testament. Comment devrions-nous les considérer ? Pourquoi ont-ils été inclus dans le canon biblique déterminé au cours de l’histoire (en 1546 au concile de Trente, en ce qui concerne le canon de l’Église catholique romaine) ?
Le récit du viol de Tamar, fille du roi David, en est un exemple éloquent. Ce texte peu connu, jamais lu dans nos liturgies, est d’une actualité pourtant remarquable. Or, s’il a une place dans le canon biblique, n’est-ce pas pour nous permettre de réfléchir au sujet des zones d’ombre de notre humanité, à partir d’un regard de foi ?
Dans le contexte des abus sexuels en Église, mais aussi en considérant aussi toute violence sexuelle à l’égard des femmes, des personnes mineures et vulnérables, le récit du viol de Tamar apporte un éclairage des plus pertinents pour prendre conscience des rapports de force, de la souffrance et du silence endurées par les victimes d’agression.
Sous forme de fiche d’animation, les questions suivantes vous sont proposées pour organiser une activité de réflexion et de partage biblique dans votre communauté ou votre milieu d’engagement1.
Lire le récit de Tamar dans le deuxième livre de Samuel (2 Samuel 13,1-22)
À noter : Tamar et Absalom sont sœur et frère, enfants de David et d’une même mère. Amnon est leur demi-frère, fils de David et d’une autre mère.
Questions proposées pour la discussion :
Qu’est-ce qui conduit Amnon, le demi-frère de Tamar et d’Absalom, à violer Tamar ?
Éléments à considérer : le désir maladif d’Amnon lié à un interdit (coucher avec sa demi-sœur vierge2), la manipulation et la planification de l’agression avec la complicité de Yonadav.
Comment réagit Absalom lorsqu’il apprend que Tamar a été violée par leur demi-frère ?
Éléments à considérer : Absalom minimise la souffrance de sa sœur et lui impose le silence (v. 20), mais la prend chez lui où elle vit somme toute abandonnée. Le roi David est « irrité » mais n’intervient pas (v. 21).
Tamar a-t-elle pu avoir une voix et une agentivité (un contrôle sur ses actions) dans cette affaire ?
Où était la collectivité ou la communauté qui aurait pu réagir devant cette violence ?
En complément, on peut aborder la suite du récit (2 S 13, 23-39) : Amnon se met à haïr Tamar après l’avoir violée. Absalom se met à haïr Amnon et complote pour le faire tuer. David sera en deuil et ne parlera plus à Absalom. Du complot pour le viol au meurtre d’Amnon, nous assistons à un cycle de violence.
En réfléchissant aux cas d’abus sexuels dans l’Église, quel éclairage le récit de Tamar apporte-t-il ?
Éléments à considérer : Les victimes sont généralement manipulées et « préparées » à leur abus par la relation de confiance et de proximité que l’agresseur établit avec elles et même avec leur famille. En anglais, le terme « grooming » est employé. Cela explique que dans certains cas, les victimes puissent associer l’abus à une relation de confiance et normaliser l’abus, puis s’en souvenir des années plus tard. Cela explique aussi que des parents ne croient pas leur enfant victime, puisqu’eux-mêmes ont noué une relation amicale avec l’agresseur.
La communauté ecclésiale ou les personnes en responsabilité à qui les victimes ont eu le courage de confier leur abus ont-elles minimisé la souffrance et l’expérience endurées ? Les abuseurs ou responsables ecclésiaux ont-ils imposé ou acheté le silence ? La communauté ecclésiale a-t-elle réagi devant cette violence ou s’est-elle seulement « irritée », comme le roi David ?
Les victimes ont-elles pu être entendues, réellement, dans notre Église, non seulement dans des contextes juridiques, mais dans des démarches de justice réparatrice ?
Y a-t-il un cycle de violence à l’œuvre dans les abus sexuels vécus en milieu ecclésial ?
Le récit de Tamar et cette discussion nous encouragent-ils à opérer des changements, à exiger de meilleures pratiques, en tant que peuple de Dieu et communauté ecclésiale ?
1 Merci aux jeunes femmes de la pastorale universitaire du Centre étudiant Benoît-Lacroix, qui m’ont permis d’approfondir l’histoire de Tamar en ce sens, lors d’une activité d’étude biblique à l’hiver de 2019.
2 Selon une coutume ancienne, Amnon aurait pu marier sa demi-sœur. Cependant, les lois du Lévitique (18, 9 et 11) et du Deutéronome (27,22) l’interdisaient.
Sabrina Di Matteo
Directrice adjointe, formation continue, Conférence religieuse canadienne
Cet article est extrait du webzine ad vitam de l’automne 2019 « Abus en Église : entre crise et espérance ».