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29 décembre 2020

Face à la pandémie, accepter, comprendre, agir et s’ajuster

Depuis le début de la pandémie de la COVID-19, les communautés religieuses ont fait face à des défis semblables aux expériences de la majorité des personnes dans les sociétés affectées par le confinement, l’isolement, et les décès dus à la COVID. Ce chemin a été marqué par le deuil, le désir d’une transformation, et la prière pour discerner comment la vie consacrée pourrait émerger changée de cette expérience.

Lors d’un webinaire offert aux membres francophones de la Conférence religieuse canadienne (CRC) le 22 septembre 2020, sœur Ginette Laurendeau, supérieure générale des Antoniennes de Marie à Chicoutimi (Québec), a partagé sa relecture des expériences vécues au milieu de ses consœurs, alors que leur communauté était la toute première touchée par une éclosion de COVID-19 le 31 mars 2020. Soeur Ginette aussi a été contaminée, heureusement sans trop de symptômes sérieux ni de séquelles. Voici son témoignage.

Notre communauté est composée de 50 soeurs, dont une vingtaine dans notre infirmerie privée. Nous avons été les hôtes de la COVID-19. Nous avons été confinées 26 jours, durant lesquels six soeurs sont décédées. Au gré des circonstances, un mot d’ordre m’habitait : accepter, comprendre, agir et s’ajuster.

Il y a eu bien évidemment des sentiments de pertes et de deuils durant le confinement. Dans la communauté, l’isolement nous a privé de notre fraternité habituelle. Nous ne pouvions pas nous voir. Les soeurs malades se sont senties exclues, tandis que les soeurs en santé craignaient d’attraper le virus, mais le plus difficile a été qu’elles soient privées d’accompagner leurs consœurs mourantes. Enfin, certaines soeurs qui ont survécu ont des séquelles.

Plus largement, il était évidemment impossible de recevoir les familles et les amies. De plus, on a eu de la difficulté à communiquer avec les familles dont les soeurs étaient malades. Voilà autant d’exemples de relations blessées par l’isolement et la coupure de contact. Au début de l’automne, nous avons commencé à célébrer les funérailles de nos soeurs décédées au printemps. Ce fut une longue attente qui a prolongé le deuil. 

Temps, repères et peurs 

Dans notre quotidien de prière et de liturgie comme personnes consacrées, nous avons eu à nous réapproprier les sacrements en absence de liturgie. Dans l’Église en général, nous nous sommes senties isolées, et nous avons constaté un manque de contact, en dehors des consignes venant de la santé publique ou des informations de la CRC.

Le temps et les horaires ont été marqués par les reports et les annulations de réunions, formations et chapitres. Tout était en pause. Parallèlement, nous ressentions une sorte de perte de contrôle parfois impressionnant. Toutes les soeurs étant confinées, nous dépendions du personnel. Nous avons d’ailleurs perdu du personnel, à cause de retraits préventifs ou parce qu’atteints par la COVID. Des membres de notre personnel ont eu peur de travailler chez nous à cause de la maladie présente; d’autres ressentaient une peur ou un rejet à leur endroit de leur propre famille. Même des livreurs avaient peur ! Les Antoniennes de Marie étaient associées à la COVID et à la peur.

Fragilités et forces

Nous avons fait des prises de conscience sur nos fragilités. Notre personnel nous a été retiré, alors l’équipe chargée des ressources humaines a travaillé très fort – et heureusement que nous avions l’autonomie de gestion, une force pour nous. Les ressources communautaires étaient fragilisées, car moi-même et des membres du conseil étaient touchées. L’autre fragilité évidente, c’est qu’il n’y a pas de relève pour l’administration et le leadership dans la structure de notre institut, vu la moyenne d’âge de 83 ans. Parmi nos
forces, je souligne l’adaptabilité des soeurs, leur collaboration aux directives de la santé publique et la coresponsabilité vécue. La fragmentation de notre communauté en groupes, qui existait avant la pandémie, a été une force pour empêcher la propagation plus sérieuse du virus.

Spirituellement parlant, le prêtre qui agit comme accompagnateur a animé des célébrations de la Parole quotidienne, et nous pouvions diffuser l’audio de ses prédications aux soeurs de l’infirmerie pour les soutenir. Au final, l’expérience nous a permis de revenir à l’essentiel. En ce sens, redécouvrir la soif d’être ensemble, de se voir et de prier ensemble a été une grâce. Nous avons communié dans l’action, au fil des étapes du confinement et du déconfinement.

Envisager l’avenir…

Nous avons réalisé à quel point le leadership exerce une forme de maternité, en rassurant, en accompagnant, en se faisant proche. Le rôle des supérieures des petits groupes et le rôle du conseil ont été fondamentaux pour aider les soeurs à traverser les épreuves physiques, psychologiques et spirituelles de la pandémie. Ce sont des épreuves d’un genre que la majorité n’avait jamais vécu.

La fragmentation en petits groupes de notre communauté a été aidante et continuera de l’être. C’est une vie fraternelle à petite échelle, ancrée dans la prière. C’est un témoignage pour le monde, rappelle le pape François.

Le leadership doit s’organiser, s’ajuster. Il doit aider à minimiser le stress et humaniser au maximum le quotidien. Nous ne devons pas hésiter à demander de l’aide externe et à maintenir ces liens pour la suite. Ces collaborations sont positives.

Toutes nos soeurs qui sont décédées ont vécu cette dernière étape à la maison. Personnellement, ce qui m’a donné de l’élan et conduit dans mes actions, avec le soutien de mon conseil, c’était de prendre soin de mes soeurs jusqu’à la fin, pour qu’elles soient chez elles, dans leur famille communautaire.

Soeur Ginette Laurendeau, AM, supérieure générale des Soeurs Antoniennes de Marie

Ce témoignage est extrait du webzine ad vitam de l’automne 2020 « L’espérance au temps de la pandémie ».