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13 octobre 2021

Le charisme au fondement de la vie consacrée et de nos instituts

Ce texte de Gaétane Guillemette, NDPS, a été préparé dans le cadre de la programmation de l’automne 2021 de la CRC autour de la thématique : « Retourner aux sources : le charisme et le prophétisme dans une vie consacrée en évolution. » D’autres ressources découlant de cette programmation sont disponibles sur notre site Internet ici.


Lorsqu’on aborde le sujet de l’évolution de la vie consacrée, surgit nécessairement la question du charisme. Depuis Vatican II, l’avancée de la pensée théologique enrichit l’intelligence de ce don de Dieu fait à l’Église et à nos instituts. Cependant, dans le vécu, des points de confusion et d’interrogation peuvent demeurer. C’est donc dans cette perspective, que nous toucherons trois questions nous concernant plus directement. Où en sommes-nous dans notre compréhension du charisme au fondement de la vie consacrée et de nos instituts ? Que retenons-nous de ses dimensions spirituelle et institutionnelle ? Quelle est notre responsabilité face au charisme de notre institut ?

Le mot « charisme »

D’entrée de jeu, il faut avouer que le concept de charisme a connu des résistances. Même si la réalité charismatique n’est pas nouvelle dans l’Église puisqu’on la retrouve déjà aux temps apostoliques, le terme « charisme », propre au vocabulaire paulinien, a suscité confusion et suspicion dans l’histoire de l’Église. La limitation de ce vocable à des dons extraordinaires ou attribués à une élite hiérarchique a résulté en une perte de l’unité et de la richesse biblique des charismes[1]. Avec Vatican II, on resitue le charisme en lien avec les ministères et Lumen gentium 12, reconnaît sa place et son rôle dans la vie de l’Église.[2] À propos de la vie consacrée, il en dessine les contours (LG 43-44) sans toutefois utiliser l’expression « charisme ».

C’est au lendemain du Concile, dans Evangelica Testificatio, en 1971, que Paul VI va clairement interpréter les intentions conciliaires et déclarer le caractère charismatique de la vie religieuse. Il utilise la notion de charisme en traitant des diverses vocations et il parle du charisme des fondateurs à l’origine de celui de l’institut. Il spécifie que le charisme de la vie religieuse est un don de l’Esprit Saint, intimement uni au mystère de l’Église et faisant partie intégrante de sa vie (ET 11).

Jean-Paul, notamment dans Vita consecrata, déploie la dimension charismatique multiforme de la vie consacrée sous l’impulsion de l’Esprit en vue de l’édification de l’Église et du service du peuple de Dieu[3]. Il distingue charisme de la vie consacrée et charisme particulier de chaque famille religieuse[4]. Il souligne sa dimension collective et revient sur l’aspect du charisme comme vocation et son appartenance à la communauté du Peuple de Dieu, Corps mystique du Christ.

Benoit XVI parle de la richesse des charismes de vie consacrée en lien avec la Parole de Dieu : ceux-ci pouvant être lus comme un Évangile vivant mis en œuvre sous des formes toujours nouvelles[5]. Il insiste sur le don de discernement et l’accompagnement des pasteurs, dans l’accueil de ce que l’Esprit dit aux Églises à travers ces charismes.

Le pape François, quant à lui, met l’accent sur l’incarnation et l’actualisation du charisme dans l’histoire, les différents lieux, moments et situations de la vie des instituts. Il demande de garder vivant le charisme fondateur : de le garder en mouvement, en croissance et en dialogue avec ce que l’Esprit nous dit dans l’aujourd’hui de notre temps. Ce qui suppose discernement et prière[6].

Depuis, la compréhension du charisme, notamment en lien avec ses composantes de même qu’avec les conseils évangéliques, continue de s’approfondir au cœur d’une Église-communion-mission.

Charisme au fondement de la vie consacrée et des divers instituts[7]

C’est au moment où Vatican II appelle les instituts existants à une rénovation adaptée, que ceux-ci entrent dans un processus de retour aux sources et à l’esprit des fondateurs. Ils nomment leur charisme : don de Dieu exprimant l’expérience de l’Esprit vécue et transmise par leurs fondateurs pour être, comme le mentionne Mutuae relationes 11, vécue, gardée, approfondie et développée en harmonie avec le Corps du Christ en croissance perpétuelle,

Ce charisme des fondateurs, à la base de la fondation d’un l’institut, porte à la fois sur une saisie particulière du mystère du Christ et sur une lecture des besoins de l’Église et du peuple de Dieu. Il s’incarne dans une vocation charismatique au service de l’Église. Transmis à des disciples, il se fonde sur une spiritualité découlant de l’expérience spirituelle fondatrice et se réalise dans une mission donnée et selon un mode de vie particulier.

Le charisme de l’institut se révèle alors projet de vie évangélique à la suite du Christ à travers ses composantes que sont la spiritualité, la mission et la vie fraternelle. Ces composantes façonnent le visage distinctif de l’institut où s’exprime le charisme. Elles ont chacune leur spécificité propre et ne peuvent être confondus avec lui. Le charisme ne peut être limité à la seule dimension de la spiritualité ou de la mission ou des œuvres. Il est une réalité spirituelle qui marque la manière d’être et de vivre des membres et qui s’incarne à travers ses composantes. Ainsi, vie spirituelle, vie communautaire et vie apostolique forment un tout intimement lié dont les éléments se nourrissent, se renforcent mutuellement et se complètent au cœur du charisme.

Quant aux conseils évangéliques – qui sont constitutifs de la vie consacrée – une connexion intime s’établit entre les conseils et le charisme. Ce dernier en éclaire la pratique. Il enveloppe et particularise les conseils évangéliques selon sa spécificité et c’est par le charisme propre que le radicalisme évangélique est assumé dans chaque institut[8]. En reconnaissant que le charisme est à la base de toute vie consacrée, on ne peut plus définir cette dernière uniquement par la consécration selon les conseils évangéliques; elle doit aussi s’identifier par son charisme[9]. Et encore, la sainteté de la personne consacrée ne se fonde pas seulement sur les conseils évangéliques, mais aussi sur la fidélité au charisme fondateur (cf. VC 36).

Dimension spirituelle du charisme de l’institut

À propos de sa dimension spirituelle, le charisme de l’institut est un signe visible de la présence de l’Esprit, de son action, de sa richesse et de sa sainteté[10]. Il est une manifestation de l’action trinitaire et du dessein de Dieu pour l’humanité. Il est accordé à une ou des personnes en vue de fonder une communauté au service de l’Église et de sa mission. Il suppose une vocation, un appel et un choix vécu dans une forme de vie et une mission correspondant à l’appel reçu en communion avec Dieu, l’Église et le Peuple de Dieu. Ce don de l’Esprit perpétue le mystère de l’Incarnation du Verbe, réalisé en Jésus et continué dans l’Église.

Dans sa dimension collective et communautaire, le charisme est signe « de la communion et de l’unité de l’Église dans le Christ » (AA 18a). Il qualifie la manière d’être en communauté et l’exercice de la mission des membres. Grâce à la fraternité mise en acte dans la charité et la communion fraternelle ainsi qu’au témoignage de vie et de l’action des membres, il rend fécond l’apostolat. Il contribue à intensifier la communion ecclésiale et il réalise sa fonction prophétique dans l’Église[11]. Aussi, se situe-t-il non seulement à l’intérieur de la mission de l’Église mais et avant tout, à l’intérieur de la mission propre de l’Esprit Saint, dont il est constitutif, en continuité avec la mission du Christ et selon le dessein du Père[12]. Ainsi donc, la fidélité au charisme est, par conséquent, fidélité à l’Esprit Saint, à l’appel particulier du Christ, et en ajustement constant au projet et à la volonté de Dieu[13].

Dimension institutionnelle du charisme des instituts de vie consacrée

La dimension spirituelle du charisme appelle sa dimension institutionnelle[14]. Signe et instrument de l’Esprit, le charisme est un don lié à l’appel de Dieu et convoquant à une forme institutionnelle et ecclésiale. Étant au fondement de l’institut, le charisme prend forme dans une manière de vivre et une mission inspirée de l’héritage spirituel des fondateurs. L’institut devient alors le lieu de la concrétisation du charisme en une entité collective, un corps communautaire et apostolique.

Ce charisme collectif demande d’être reconnu par l’Église en une forme de vie stable (can. 573). Sa reconnaissance passe par l’approbation des constitutions, lesquelles représentent la première institutionnalisation du charisme. Aussi, pour qu’il puisse servir à la vitalité apostolique et à la sainteté de l’Église, tout en apportant ses bienfaits à chacun et à la communauté, un discernement doit s’opérer. Et ce discernement évangélique appartient à l’Église, à qui revient de reconnaître l’identité spécifique et la structure de chaque institut.

Vita consecrata 4b rappelle également que, par sa dimension institutionnelle, le charisme s’inscrit dans la grande réalité de la communion ecclésiale où convergent tous les dons en vue de la construction du corps du Christ et de la mission de l’Église. Son institutionnalisation, comprise dans son sens immanent, en tant que dynamisme contenu dans le charisme lui-même, lui donne non seulement de s’extérioriser mais de vivre en se déployant dans le temps et l’espace et de réaliser sa finalité propre. Elle lui permet de se mettre en relation avec Dieu et avec les autres, et de s’exprimer pour pouvoir communiquer, se donner de façon intelligible[15]. Ainsi se rencontrent dans une communion intime les deux faces d’une même réalité mystique et institutionnelle[16] du charisme de l’institut.

Responsabilité de l’institut face à son charisme

Benoît XVI insiste : l’Évangile et l’institution sont inséparables[17]. Par le charisme, l’Évangile prend corps et se concrétise dans une diaconie. Il anime et structure la communauté qui devient école de communion et chemin de sainteté dans l’amour et la charité. Participant, selon le don reçu de l’Esprit, au renouvellement et au développement de l’Église, l’institut porte la responsabilité d’incarner, d’actualiser et de transmettre son charisme.

L’institut est dépositaire du charisme et non propriétaire. Car le charisme est un bien de l’Église pour le monde, pour la communauté et pour chacun des membres. En fidélité à l’Esprit et à l’Église, l’institut et ses membres ont à répondre à l’appel prophétique de ce don comme projet de vie et parole de Dieu sans cesse à se dévoiler. Ils ont à le garder vivant et agissant dans et par leur être, et par leur agir au quotidien. Leur responsabilité, face à ce don de l’Esprit fait aux fondateurs et approuvé par l’Église, exige que l’on veille à sa transmission spécialement par la formation. Étant directement liée au charisme, la formation dit quelque chose du charisme à travers ses procédures. D’où la nécessité de revoir où en est le développement du charisme et son articulation dans la formation initiale et permanente et d’en favoriser l’impulsion dans toutes les dimensions de notre vie consacrée.

En conclusion

Si Dieu appelle et envoie, c’est parce qu’il donne d’abord. Don de Dieu à nos fondateurs, le charisme a fait d’eux des chercheurs de Dieu et des bienfaiteurs de l’humanité. À leur suite, en fidélité à l’Esprit et à notre charisme vécu dans la vie spirituelle, communautaire et apostolique, et les conseils évangéliques, nous collaborons au don du Donateur et à son projet pour l’humanité[18]. Alors, le charisme au fondement de nos instituts, signe de l’action de l’Esprit, atteste que la Pentecôte se continue toujours et que l’incarnation du Christ et sa mission se prolongent dans l’Église, sous l’action de l’Esprit et selon le dessein de Dieu.

[1] Yolanta RZECZEWSKA, Les charismes dans l’Église et leur institutionnalisation canonique, 2016.
[2] Yolanta RZECZEWSKA, p.199.
[3] Yolanta RZECZEWSKA, p.242.
[4] Ibid., p. 245.
[5] BENOÎT XVI, 2 février 2008, https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2008/february/documents/hf_ben-xvi_spe_20080202_vita-consacrata.html
[6] Pape FRANÇOIS, 17 mai 2021, https://www.vaticannews.va/fr/pape/news/2021-05/pape-francois-vie-consacree-charisme.html
[7] Nicolas de BOCCARD, Charisme et instituts de vie consacrée, 2015.
[8] Fernande VIENS, Charismes et vie consacrée, p. 272-273
[9] Nicolas de BOCCARD, p. 91.
[10] Benoît XVI, 3 juin 2006, dans Yolanta RZECZEWSKA, p. 305.
[11] Yolanta RZECZEWSKA, p. 162.
[12] Ibid., p. 185.
[13] Ibid., p. 191.
[14] Ibid., p. 315. Benoît XVI mentionne les deux dimensions charismatiques et institutionnelles coessentielles à la constitution divine du Peuple de Dieu, rendent présents le mystère et l’œuvre du salut du Christ dans le monde.
[15] Ibid., p. 434.
[16] Ibid., p. 427.
[17] Ibid., p. 314.
[18] Ibid., p. 451.

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