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20 mars 2020

Réflexion théologique, dialogue et communion

Mon expérience me montre que la démarche de réflexion théologique et certains de ses modèles offrent une structure et un espace où développer des habiletés pour le dialogue et cultiver un niveau d’engagement qui débouche sur la communion. Le présent article esquisse ce qu’est la réflexion théologique, et il met en valeur le potentiel de croissance qu’elle recèle pour le dialogue et la communion tant à l’intérieur des instituts religieux que dans la grande communauté ecclésiale.

Qu’est-ce que la réflexion théologique ?

Vous avez probablement participé à des démarches de réflexion théologique qui ne portaient pas ce nom. L’expression réflexion théologique ne décrit pas précisément le type d’activité qu’on a en tête quand on recourt à cette étiquette. D’autres appellations sont peut-être plus évocatrices : théologie contextuelle, théologie expérientielle ou théologie de la praxis. Les 30 à 40 dernières années ont vu naître différents modèles de réflexion théologique (Kinast, p.1).

Ce qu’ont en commun toutes les formes de réflexion théologique pastorale, c’est « un triple mouvement d’une simplicité trompeuse. Tout part de l’expérience vécue des participants; cette expérience est mise en parallèle avec les sources de la tradition chrétienne; et on en tire des conclusions pratiques pour la vie chrétienne » (Kinast, p.1). Dans la réflexion théologique, le foyer principal est la présence de Dieu dans l’expérience des gens (Kinast, p. 3). Sur la base de cette description sommaire du mouvement en trois temps, la réflexion théologique peut inclure le « voir, juger, agir » des mouvements d’action catholique (comme la JEC, au Québec) ou les démarches de réflexion des communautés de base. Certains lecteurs se rappelleront sans doute que la réflexion théologique était l’un des éléments du cercle pastoral en quatre volets que Joe Holland et Peter Henriot, SJ, proposaient dans leurs démarches d’analyse sociale au début des années 1980.

Un modèle pour le dialogue et la communion

Je connais mieux le modèle et la méthode de James et Evelyn Eaton Whitehead, que Kinast qualifie de style « ministériel » de réflexion théologique. C’est aussi la méthode qui me semble la plus prometteuse pour favoriser le dialogue et la communion au sein de différents groupes et entre les générations. Même si cette méthode sert surtout à prendre des décisions pastorales, elle peut facilement s’adapter à d’autres contextes.

Ce qui suit résume à grands traits la méthode présentée par les Whitehead dans un ouvrage, Method in Ministry, paru en 1980 et mis à jour en 1995 (voir les références). Pour eux, la réflexion théologique permet d’appliquer les ressources de la foi chrétienne aux décisions pratiques qu’il faut prendre dans le ministère. Idéalement, ces décisions seraient prises avec des membres de la communauté chrétienne ou de la paroisse, des personnes qui seront donc directement affectées par les résultats de la délibération, et pas seulement par des ministres ordonnés ou des responsables de la pastorale.

Les Whitehead estiment qu’il y a trois sources importantes à prendre en compte dans la prise de décision et dans la pratique du ministère : la tradition de foi, l’expérience personnelle et communautaire, et la culture contemporaine. Ces trois sources doivent entrer en dialogue et leur méthode décrit comment se développe la conversation entre ces trois sources. Elle part de l’écoute, ou de la présence, pour passer à l’assertion et mener à la réponse pastorale. (Whitehead, 1995, p.1-5). L’écoute consiste à « rechercher, à propos d’un problème pastoral précis, l’information disponible dans l’expérience personnelle, la tradition chrétienne et les ressources culturelles » et à « écouter de manière critique, en suspendant son jugement ». La tradition chrétienne comprend l’Écriture sainte, l’histoire de l’Église et les interprétations qu’on en a données au fil du temps. Ensuite, l’assertion « inscrit les perspectives réunies à partir de ces trois sources dans un dialogue vivant d’éclaircissement mutuel afin de développer et d’enrichir l’intuition religieuse », ce qui « exige le courage de partager ses convictions et de se laisser questionner ». Enfin, la réponse pastorale passe « de la discussion et de l’intuition à la décision et à l’action » et inclut « le discernement de la façon de réagir, la planification de ce qu’il y a à faire, l’évaluation de ce qu’on a fait » (Whitehead, p.13).  Ce type de réflexion théologique est conçu, et doit être appliqué, comme un exercice de groupe, vécu comme un dialogue communautaire continu, et non comme une opération montée une fois pour toutes afin de régler un problème particulier. « La conversation est notre vie ensemble » (Whitehead, p.4).

Ce survol rapide ne suggère ni la couleur ni la saveur de cette démarche en action, et il ne constitue pas non plus une feuille de route pour l’appliquer. Loin d’être rigide, la méthode doit se couler dans le contexte où se fait la réflexion théologique, mais le mouvement en trois temps en est bien une constante.

Quelques aspects pratiques

La démarche exige des participants qu’ils y consacrent pas mal de temps. Cela peut poser un défi dans un groupe où les gens ont des horaires disparates. Pour amener un groupe à vivre une réflexion théologique, il faut aussi maîtriser l’art du dialogue. Compte tenu de la tension ou du conflit généré par l’expérience sur laquelle le groupe choisit de dialoguer, une animation pourrait être nécessaire au bon déroulement du processus.

Les jeunes adultes et la réflexion théologique

Pendant mes années en pastorale universitaire, j’ai animé des retraites et des programmes pour étudiant, qui comportaient de la réflexion théologique. L’une de ces activités était un événement d’une journée qui comprenait une expérience en matinée dans une banque alimentaire, un refuge provisoire pour femmes et enfants, ou une soupe populaire pour itinérants. Dans l’après-midi, nous revenions sur l’expérience vécue en utilisant le cercle pastoral mentionné plus haut. Chaque fois, une étudiante ou un étudiant était amené à dire au groupe qu’en tant que diplômés, ils avaient la responsabilité de contester des systèmes injustes pour ceux et celles qui vivent dans la pauvreté. Je ne leur avais pas soufflé l’idée. À ma grande joie, ils y étaient venus à partir de leur propre expérience et de leur propre réflexion théologique. J’ai aussi remarqué que ces jeunes étaient doués pour le dialogue et qu’ils arrivaient à s’exprimer dans une perspective de foi pour peu qu’on leur offre un espace sécuritaire.

Conclusion

Sur la base de cette expérience, et de quelques autres, je constate que la réflexion théologique favorise le dialogue et la communion. Même si la démarche comporte certaines exigences, les possibilités qu’elle ouvre à un dialogue et à une communion en profondeur en valent largement la peine.

 

Références

Robert L. Kinast, What Are They Saying About Theological Reflection? Mahwah (NJ), Paulist Press, 2000.

James D. Whitehead et Evelyn Eaton Whitehead, Method in Ministry: Theological Reflection in Christian Ministry, Kansas City (MO), Sheed and Ward, 1995.

 

Lorraine d’Entremont, SC

Ce texte est extrait du webzine ad vitam de l’hiver 2020 « Une communion qui engendre la mission ».